France, Algérie : à l'évocation de ces deux pays on s'aperçoit rapidement qu'il n'est pas chose facile d'arriver à démêler les écheveaux de la mémoire et du présent. Les relations franco-algériennes s'inscrivent dans une histoire commune pour une grande part empreinte de passions, de rancœurs et d'attirances mutuelles. Des liens étroits se sont constitués sur le plan économique, diplomatique mais aussi scientifique et culturel amenant une circulation importante entre les deux pays. La présence sur les deux territoires de la communauté algérienne en France et de la communauté française en Algérie produit un effet attirance-répulsion de l'opinion publique sur cette question. Ce climat si particulier a provoqué et continue à provoquer encore aujourd'hui des difficultés d'analyses.
La crise que traverse l'Algérie depuis plus de huit ans maintenant a soulevé en France, de multiples réactions allant de l'indifférence à l'engagement effectif auprès des démocrates et victimes du terrorisme en Algérie. Cet état de guerre larvée a amené plus de 400 000 Algériens à quitter leur pays, principalement pour la France, mais également et notamment pour le Canada, les USA, l'Australie, l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne ou la Belgique. Cet exode massif concernant bon nombre de personnes hautement qualifiées a désorganisé des secteurs entiers de l'activité économique et sociale. Cette émigration s'est faite progressivement, par petits groupes, souvent individuellement, et est passée relativement inaperçue. Mais les difficultés de ces immigrés en France ont été considérables. Ils se sont heurtés d'une part, aux lois françaises sur l'immigration, à la politique gouvernementale très restrictive sur les visas et à la reconnaissance du statut de réfugié politique et d'autre part à l'antagonisme et aux chemins escarpés de la mémoire française sur l'Algérie.
Mais la France est aussi et surtout le pays de la philosophie des Lumières, c'est la patrie de l'humanisme et de la défense des Droits de l'Homme. Dans un souci d'attachement à ces idées fortes, de nombreuses personnes, de sensibilités différentes se sont mobilisées pour venir en aide aux victimes du terrorisme et apporter un soutien matériel et moral aux démocrates algériens. Ce mouvement associatif, qui s'est mis en place au cours de l'année 1994, malgré ses tentatives d'unification, est très disparate. Cette solidarité " plurielle " a fédéré des bonnes volontés venues d'horizons multiples autour d'une idée maîtresse : la lutte pour la démocratie. Mais les divergences tant sur le plan idéologique que sur le plan des moyens à adopter n'ont pas permis une unification du mouvement. Cependant le travail accompli par ces associations a été et pour certaines d'entre-elles est toujours considérable et représente un investissement personnel remarquable et généreux.
A Toulouse, s'est créée dés le printemps 1994, une association d'aide aux victimes du terrorisme dénommée Ayda (ce qui signifie en arabe " le retour ") à l'initiative notamment de professeurs d'université. Indignés par les assassinats d'intellectuels algériens tels, que l'écrivain journaliste Tahar Djaout, le sociologue Djilali Liabès, ces hommes et ces femmes ont senti la nécessité de réagir et de créer une structure d'accueil leur permettant de venir en aide aux démocrates algériens. Le choix de ce nom, (effectué dans des conditions spéciales) de par sa signification en arabe illustre le caractère éphémère de la structure. Ayda a milité pour soulager les souffrances de ces exilés et les soutenir dans leurs multiples démarches. Elle leur a offert la possibilité de s'exprimer et de poursuivre leur combat pour une Algérie démocratique. Choisissant de mener de front, l'accueil des réfugiés et de leur famille, et d'aborder un volet plus politique afin de sensibiliser la population à la culture algérienne, Ayda ouvre un champ d'études multiples, propice à des recherches beaucoup plus approfondies. Au cours de ces six dernières années, l'association a développé de nombreuses activités et suscité des solidarités conséquentes. Cette histoire d'Ayda essaye de retracer la vie de cette association, en prenant en compte ses actions mais aussi en s'intéressant aux hommes et aux femmes qui l'ont faite.
Au regard des archives et des entretiens qui nous ont été accordés, nous avons essayé de développer des thèmes qui nous sont apparus importants : l'aide matérielle et morale aux réfugiés, les tentatives ou créations de pont entre les deux cultures à travers des échanges franco-algériens, le combat pour l'émancipation des femmes, l'aide aux journalistes, les débats, les conférences et autres manifestations tant en France qu'en Algérie.
Cette étude comporte trois grandes parties permettant de cerner l'association Ayda sous des aspects différents.
La première partie éclaire sur la genèse de cette organisation, son fonctionnement et s'intéresse aux relations et réseaux dont elle fait partie ou qu'elle a contribué à mettre en place.
Le second chapitre est consacré aux acteurs de l'association et aux personnes qu'elle a aidées. En effet, leur itinéraire militant, leur vision de l'engagement, leur rapport à l'histoire sont des notions qui apportent un éclairage intéressant sur leurs actions et leurs idéaux au sein d'Ayda. L'histoire de l'Algérie est abordée dans ce chapitre ainsi qu'une présentation du mouvement démocratique algérien afin de mieux cerner les raisons de l'exil de ces démocrates.
La troisième partie se penche sur les actions de l'association depuis 1994 à travers les fondements identitaires de l'association. Elle présente ainsi les activités d'Ayda .