Les démocrates algériens ont, pour la plupart, quitté leur pays dans la précipitation et sont arrivés en France démunis et sans ressources. Certains étaient traqués par les islamistes depuis plusieurs mois et vivaient cachés et protégés par des amis bienveillants. Ayda les a accueillis et s'est efforcée de leur garantir les conditions nécessaires à leur vie à Toulouse.
1) L'accueil
Ayda s'est fixée comme ligne de conduite de n'accueillir que les démocrates algériens. Dans une interview accordée au journal la Dépêche du Midi, un membre de l'association explique qu'ils " accueillent des gens pluriels, arabophones, francophones, berbères ou pas. Leur point commun : ils sont menacés ou condamnés à mort par le terrorisme intégriste. Et il est vrai qu'ils sont souvent d'anciens opposants au FLN, déjà persécutés comme tels.1 " Il était difficile pour Ayda, surtout au début, d'apprécier la nature du combat de ces réfugiés. En effet, devant la difficulté d'établir des contacts avec l'Algérie, Ayda a fait appel aux réseaux et aux relations de ses membres d'origine algérienne. Il s'est avéré, que les premiers exilés qui ont été pris en charge par Ayda, ont eu connaissance de cette association par l'intermédiaire des réseaux de l'ex-PAGS, dont était très proche Zaïda Radja Mathieu. Mais très vite, Ayda a été connue en Algérie. Elle a conquis une place et une image de marque d'association sérieuse et efficace. Ainsi, les Algérien(ne)s en difficulté ont essayé de prendre contact avec l'association toulousaine. Cela pouvait se faire de plusieurs façons ; par l'intermédiaire de lettres, de fax ou téléphone, ou bien d'interventions personnelles de la part de certaines relations qu'avait Ayda, en Algérie et en France. Cela dépendait des réfugiés accueillis. Par exemple, Mohamed Bahrour, gravement blessé, a connu l'existence d'Ayda (été 1994) par l'intermédiaire d'un professeur de médecine de Toulouse en voyage à Oran (dont l'université de médecine est jumelée avec celle de Toulouse). Il a écrit une lettre expliquant son cas et la gravité de la situation et Ayda a débloqué les moyens nécessaires à son évacuation sur Toulouse. Moussa Béchérif et sa famille, accueillis par Ayda en 1998, connaissait l'existence de l'association bien avant. En effet, en tant que responsable de l'ANDPE, il avait été invité dans le cadre d'un échange franco-algérien organisé par Ayda. Dans une lettre arrivée par fax à Ayda le 25 avril 1995, un couple de techniciens de la Télédiffusion Algérienne exposait à l'association la terreur qui régnait dans le secteur d'activité professionnelle : " Monsieur, Je viens par la présente lettre en votre honneur, de bien vouloir vous exposer la terreur et la peur dans laquelle nous vivons, nous techniciens de la Télédiffusion Algérienne (TDA ex RTA). Tout a commencé après plusieurs menaces adressées au secteur de l'information…. Comme nous travaillons en système de brigade, nous avons été obligés de passer la nuit au travail, par mesure de sécurité. Cela n'a pas empêché aux groupes armés, d'essayer de s'emparer de notre établissement parce qu'ils savent bien que ce dernier est le cerveau du réseau de transmission national et international. Mais heureusement l'établissement est bien gardé par des militaires qui assurent bien leurs fonctions. Le samedi 10.02.95, on apprend que notre collègue technicien Moktari Abdel Gahni a été trouvé torturé, égorgé puis jeter dans un fossé ; quelques jours après, un employé de l'entreprise a été kidnappé et qui a échappé à la mort, car ce n'était pas un technicien, mais n'empêche, ils l'ont obligé à quitter son travail de l'entreprise. Une fois encore cela prouve qu'ils en veulent toujours aux techniciens depuis, je vis avec une peur au ventre. Les jours de repos je ne sors pas de la maison, d'ailleurs j'ai dû changer de domicile pour diminuer les risques. Je ne peux pas voir mes parents, frères et sœurs. Je vis avec ma femme dans le stress, même elle n'ose pas chercher du travail par crainte. Ainsi que vous le voyez, monsieur, nous sommes un jeune couple innocent qui aimeraient profiter de sa jeunesse et de ses facultés intellectuelles, et de pouvoir les exploiter. Nous demandons que de mener une vie paisible. Pour cette raison, monsieur, nous vous demandons de bien vouloir nous aider à obtenir le visa le plus tôt possible. Nous espérons cependant qu'il vous sera possible de donner une suite favorable à la requête formulée. Je vous prie d'agréer, monsieur, l'expression de notre vive gratitude et l'hommage de notre profond respect.2 "
On retrouve dans le cahier de compte-rendus de permanence, des contacts téléphoniques établis par des personnes demandant de l'aide. Ayda ne donnait jamais rendez-vous à sa permanence, car elle craignait pour la sécurité de ses membres et des algériens exilés. Elle aurait pu se faire infiltrer par les islamistes, dont certains réseaux étaient actifs en France en 1994-1995. Aucune archive n'apparaît sur ce volet de l'action d'Ayda, car les contacts s'établissaient très souvent par téléphone et les lettres n'ont pas été reversées dans les archives de l'association. L'accueil ou non d'un réfugié, se discutait en Assemblée Générale des militants, mais cela n'est pas souvent retranscrit dans les compte-rendus. On trouve le cas de l'accueil et de l'aide d'un officier des Forces Navales en retraite (Arski Rahnia) qui a été discuté en réunion le 27 mars 1996. Un tour de table est organisé afin d'impliquer tous les présents et de prendre une décision reflétant l'opinion de ces militants. L'idée principale est que personne ne les connaît politiquement : " Julien : Politiquement ? On ne sait pas. - Mohamed dit qu'il ne connaît pas3 ; l'adhérent qui les a envoyés est inconnu. - Georges : aucun principe qui interdirait l'accueil, voir un peu qui c'est politiquement. - Marie : erreur collective de ne pas avoir fait d'enquête préalable qui aurait conduit situation pénible. - Akila : je suis partagée, étonnée des amis algériens qui parlent d'aide humanitaire pourquoi on les amène sans discuter avant. Marie : si ce qu'il dit est vrai pourquoi ne pas l'aider. - Michel : s'il s'avère " bon démocrate " on doit l'aider. - Farouk : le moment est venu de rediscuter des actions d'Ayda la menace s'est élargie à toute la population, ce cas particulier un officier a une retraite, s'il plaque toute sa position sociale c'est qu'il doit être menacé. - Georges : réfléchir à ce qu'on peut faire pour plusieurs personnes dans ce cas, voir avec d'autres associations. - Mohamed: observer.4 " Ces discussions démontrent la multiplicité des points de vue sur l'accueil des réfugiés et les difficultés d'appréciation de la part des militants.
Georges Rivière raconte qu'il y a eu de nombreuses discussions autour de l'aide à apporter ou non aux jeunes déserteurs de l'armée algérienne. Les opinions étaient partagées entres les Algériens eux-mêmes. Certains considéraient que, eu égard au rôle de répression exercée par l'armée depuis l'indépendance, ils ne pouvaient venir en aide à un agent de ce corps constitué. D'autres mettaient en avant le point de vue des risques encourus par les jeunes appelés par rapport aux condamnations prononcées par les islamistes. Ayda est intervenu en faveur d'un de ces déserteurs afin de demander l'autorisation pour ce dernier de " rester en France tant que les conditions d'un retour [en Algérie] ne sont pas réunies.5 " Il est mis en avant dans cette lettre, la situation dramatique que connaissait cet Algérien ainsi que la prudence avec laquelle Ayda a agi. " En tant que Présidente de l'association Ayda et au nom de cette association, qui s'est donnée pour but de venir en aide aux réfugiés algériens victimes de l'intégrisme, je tiens à témoigner en faveur de M. Abdelkrim Medani. Nous l'avons reçu à l'association, avec toute la prudence requise, et nous nous sommes faits une conviction sur les raisons de sa venue en France, même si les preuves matérielles manquent et pour cause. Il nous est apparu que les raisons sont bien celles qu'il donne.6 " Ayda a ainsi essayé de recouper les renseignements fournis par cet homme auprès des contacts et connaissances qu'elle a établi en Algérie. Elle a tenté de se renseigner ainsi, lorsqu'elle a accueilli les réfugiés algériens. Certains d'entre eux qui étaient connus pour leur engagement dans le milieu démocratique - par exemple le professeur de médecine d'Oran, les familles de réfugiés - n'ont pas provoqué de demande d'information.
La décision de prise en charge tenait compte de la possibilité de l'accueil qui pouvait être assuré à Toulouse. Ainsi Ayda présente dans un mini-dossier réalisé en 1994, le cas d'une famille algérienne qui a demandé à être accueillie en France. " Le cas de la famille G.H. un véritable appel au secours. Personnes tuées, filles violées. Il y a des enfants et une personne âgée. Ayda est obligée de se poser le problème de la responsabilité de son engagement par rapport à cette famille que les islamistes veulent " éradiquer ". Où l'héberger ? avec quels moyens financiers l'assister ? quelles perspectives ? Ayda dans l'incapacité de répondre à cet appel - par responsabilité - est consciente de prendre celle des conséquences dramatiques qui pourraient en découler.7 "
Après la prise de contact, effectuée par lettre le plus souvent, Ayda essaye alors, sous réserve d'un certain nombre de recoupements qui permettent de valider " la qualité des personnes sollicitant l'aide d'Ayda (nature politique et non pas économique de la demande, engagement dans le pôle démocratique)8 ", de créer les conditions matérielles nécessaires à l'obtention d'un visa d'entrée en territoire français. L'association permet ainsi d'obtenir une entrée sur le sol français d'un ou trois mois, ce qui constitue un premier pas dans ces démarches. Dans certains cas d'urgence, Ayda a payé le voyage Algérie Toulouse. Les réfugiés sont accueillis le plus chaleureusement possible et des solutions sont cherchées afin de pouvoir leur permettre de vivre dans les meilleures conditions qu'Ayda puisse leur offrir. L'accueil de Mohamed Bahrour s'est effectué à l'aéroport Toulouse Blagnac dans des circonstances un peu rocambolesques. En effet, le journaliste devait être transféré dans une clinique privée, en raison de la nature de ses blessures. Cependant, il y a eu des fuites lors de son arrivée, et une journaliste de la Dépêche, irresponsable devant les risques qu'elle aurait pu faire courir à l'association, ses membres et au journaliste blessé, avait convoqué ses collègues à l'aéroport afin de médiatiser cette arrivée. Les militants d'Ayda ont sollicité l'aide du commissaire de l'air et des frontières afin qu'il intervienne pour écarter ces journalistes. Répondant à l'appel d'Ayda, il a permis à l'ambulance le transportant de le prendre en charge dès sa sortie d'avion, sur la piste d'atterrissage. Cette collaboration établie dans l'urgence s'est poursuivie depuis, car ce commissaire de l'air et des frontières est intervenu à plusieurs reprises pour faciliter la venue des réfugiés et a même organisé une collecte de vêtements parmi le personnel de l'aéroport afin de venir en aide à Ayda.9
Georges Rivière raconte l'arrivée d'un réfugié algérien au mois d'août. Seul militant d'Ayda étant sur Toulouse à cette période là, il fut contacté par la CGT qui l'informa de l'arrivée d'un exilé qu'il devait prendre en charge. Georges Rivière a rencontré cet instituteur qui l'attendait place Saint Sernin à la bourse du travail et l'a hébergé chez lui pendant prés d'un an.
L'accueil est suivi d'une prise en charge des exilés par l'association. De plus, par le biais des permanences, l'implication des Algériens au sein d'Ayda, a permis de rompre l'isolement de l'exil. La complexité du statut juridique applicable aux Algériens n'a pas facilité les démarches administratives obligatoires pour la légalisation de leur situation. Afin d'assurer une " caution morale " auprès des services des étrangers de la préfecture de Haute Garonne un membre d'Ayda accompagnait les algériens quand cela était nécessaire. Ces derniers, selon la nature de leurs papiers devaient se rendre tous les mois ou tous les trois mois à la préfecture afin de faire renouveler leur permis de séjour.
2) La vie quotidienne
Les difficultés rencontrées par les exilés algériens et leurs familles dans la vie quotidienne ont été énormes et de diverses sortes. Ayda a essayé dans l'urgence d'offrir à ces familles ou ces célibataires une dignité et une aide généreuse. Dans un article d'Asma (n°0 page 19) Ayda explique ces difficultés : " Nous tentons de tout mener de pair, sachant que, dans l'urgence, l'intégrité physique et affective des adultes et des enfants, leur dignité est un préalable absolu. Avoir des livres pour l'école, des vêtements, un toit, de quoi manger, se soigner, étudier et même aller au cinéma (merci Utopia) bref, vivre verticalement est un minimum que nous nous devons d'assurer. " Ayda a ainsi pu fournir, outre les aides matérielles et le réconfort moral, 500 francs par mois par adulte et 250 francs par mois par enfant grâce à la générosité de la société civile notamment. Cette aide (" c'est beaucoup…….. et dérisoire10" ) a engendré la recherche de nombreux financements.
a) Le problème du logement
La question du logement des exilés et de leurs familles a mobilisé de nombreuses énergies. En effet, ce problème crucial a fait l'objet de la mise en place d'un comité spécifique dont la responsable fut Marie Didier. Les Algériens n'ayant pas, à leur arrivée pour la plupart, la possibilité de travailler ne pouvaient pas s'acquitter d'un loyer régulier. Ayda a du palier à ces difficultés.
Certains membres d'Ayda quand ils en ont eu la possibilité, ont hébergé pendant quelques temps des exilés, tel Georges Rivière qui a ouvert sa maison à un instituteur pendant prés d'un an.
Ces solutions temporaires ont été utilisées par Ayda. Certains ont prêté leur maison le temps des vacances, d'autres ont mis à disposition une chambre d'amis pendant quelques temps. Ayda a lancé des appels pressants dans les journaux locaux, lors de ses interventions radiophoniques (notamment à Radio-Soleil et Radio Mon Païs) et télévisuelles (France 3 Sud et TLT télévision Toulouse). Dans une coupure de presse dont il a été impossible de retrouver la provenance on peut lire : " Si vous possédez un logement ou des pièces indépendantes que vous désirez mettre à la disposition des réfugiés et de leurs familles, contactez Ayda. " Lors de courriers aux adhérents (" Par ailleurs, nous enregistrons un besoin immédiat d'hébergement de démocrates algériens en exil. Toute proposition de la part de nos adhérents sera la bienvenue.11 " ), lors des Assemblées Générales, Ayda a mis en avant la question essentielle du logement. Les aides individuelles et les coopérations spontanées n'ont pas été suffisantes pour faire face à l'accueil des réfugiés. En effet, il est apparu nécessaire, avec l'arrivée des familles de ces exilés, de trouver des logements indépendants, car ces solutions temporaires n'étaient pas très viables pour la stabilité des familles.
Dès 1994, Ayda a contacté les instituions afin d'obtenir une aide de leur part. Dans une lettre datée du 27 mars 1995, le bureau d'Ayda demande à l'adjoint au maire chargé du logement à la mairie de Toulouse, d'accélérer la procédure qu'il a lancée afin d'obtenir deux logements dans le parc de l'office public d'HLM. Cette proposition faite par la mairie de Toulouse n'est pas allée jusqu'à son terme, car la collectivité territoriale s'est rétractée et Ayda n'a pas pu bénéficier de ces deux logements. Cependant certaines mairies ont apporté leur aide, en proposant à Ayda la mise à disposition de quelques logements pour un loyer peu élevé. Ce fut le cas de la mairie de Ramonville, dans la communauté urbaine de Toulouse. Ayda a essayé de faire bénéficier les Algériens qui en avaient la possibilité des aides au logement telles que l'ALT (Allocation Logement Temporaire). L'association a fait appel au préfet de Haute Garonne pour obtenir cette aide. Mais on apprend que dans une lettre datée du 23 mars 1995, cette ALT a été refusée par le représentant de l'Etat, à qui les membres d'Ayda demandent une entrevue et une justification de ce refus. Le préfet leur a répondu en leur expliquant que cette décision n'avait pas à être motivée. Cette ALT est un dispositif géré par la Direction Départementale des Actions Sanitaires et Sociales (DDASS). Cette dernière n'a pas donné de réponse favorable à la demande d'Ayda, refusant de signer cette convention. Elle l'a signifié à Ayda par une lettre datée 13 mars 1995. Ayda avait alors fait appel au préfet de Haute Garonne sans succès. Ce désintérêt des pouvoirs publics devant la détresse des exilés a conduit Ayda à se tourner vers d'autres structures. Elle a fait appel à des maisons familiales, ainsi qu'à une association le Pact'Arim. C'est un organisme paritaire, géré notamment par le Conseil général. 0n peut faire un parallèle avec le système très proche des foyers de l'Unesco (dont un existe à Toulouse). De part le statut et le cahier des charges du Pact'Arim, les exilés n'avaient pas le droit de bénéficier de cette aide. Elle se décompose de deux manières : la première consiste à mettre à disposition des chambres pour des personnes et la seconde permet de mettre des appartements à dispositions des familles avec un loyer très modique. Ces aides sont ponctuelles et d'une durée limitée à 3 ou 6 mois par exemple. Cet organisme a beaucoup travaillé avec Ayda qui le mentionne dans le compte rendu d'activité 1994/1995.
On trouve aussi la mention de cet organisme sur un compte rendu d'Assemblée Générale des militants en date du 24 novembre 1994 : " logement, Marie : le Pact'Arim demande que l'électricité soit payée par les locataires ". Ayda a pris sur son budget, tous les frais de fonctionnement à la charge des locataires. Elle a de plus, payé le loyer depuis l'automne 1994 d'un logement pour une famille d'exilés algériens s'élevant à 3 000 francs par mois12 .
Tout au long de ces six ans, Ayda a du faire face aux difficultés de logements qui n'ont pu être souvent réglées que par un investissement généreux de la population toulousaine qui a proposé son aide.
b) La nourriture
Afin de subvenir aux besoins vitaux des réfugiés politiques sans ressources, Ayda a fait appel aux associations caritatives françaises qui ont fourni une aide conséquente. Lorsque les exilés n'avaient pas la possibilité de travailler, ils ne possédaient aucun revenu pour vivre. Ayda s'est investi fortement afin de leur trouver les moyens de subsistance nécessaire. Les associations caritatives qui œuvrent dans ce domaine, telles que le Secours Populaire, le Secours Catholique, ou les Restaurants du Cœur ont apporté leur soutien aux réfugiés. Des distributions étaient organisées plusieurs fois par semaine. Chaque exilé recevait un carton de denrées alimentaires en fonction du nombre de personnes dont il avait la charge. Selon qu'ils étaient célibataires ou en famille ils avaient droit à un colis beaucoup plus conséquent.
Le Secours Catholique et le Secours Populaire sont intervenus en faveur d'Ayda auprès de la Banque alimentaire. En effet, cet organisme qui avait donné son accord et débuté les distributions de cartons a ensuite dénoncé ses engagements auprès d'Ayda. Afin d'obtenir un accord et de bénéficier de cette aide, il fallait monter des dossiers individuels qui étaient étudiés par l'organisme. Dans le cas d'une réponse favorable, elle délivrait des colis de nourriture en rapport avec l'aide demandée. La question alimentaire s'est doublée des besoins vestimentaires et d'équipements ménagers. Arrivés dans l'urgence et le dénuement, les réfugiés algériens ont été confrontés à ces difficultés matérielles. Ayda les a aidés et soutenus. Elle a lancé auprès de ses adhérents des collectes de vêtements qui ont permis de pallier ces pénuries. Elle a mis à contribution la générosité de ses membres en leur demandant des équipements ménagers afin de pouvoir vivre dans des appartements meublés. Les appels lancés dans les journaux, dans les meetings, les manifestations culturelles et autres apparitions publiques ont permis de recueillir de nombreux objets nécessaires à la vie en appartement. La diversité de la demande s'est traduit par un large éventail de dons : lits, meubles, commodes, ustensiles de cuisines, réveils, postes de radio, télévision, drap, linge de maison ou bien encore couverts, assiettes, chaises, canapés, lampes… En fait, tout ce qui est indispensable à l'équipement d'une maison. Dans ce cas encore, la générosité est apparue beaucoup plus forte dans le milieu associatif et la société civile que parmi les institutions. Elle a permis de recueillir une aide indispensable à la vie des ces réfugiés algériens arrivés à Toulouse.
c) L'emploi
Lorsqu'un individu accède à un emploi, s'ouvrent à lui des perspectives plus larges. En effet, le fait de travailler permet d'obtenir des ressources nécessaires pour améliorer des conditions de vie difficiles. Les exilés algériens ont rencontré des obstacles importants dans la recherche d'une activité salariée (quand ils en avaient la possibilité par leur statut juridique). Malgré les appels pressants dans les médias (journaux, radios, télévision) et auprès de ses adhérents, Ayda a été confrontée à des problèmes délicats. La réflexion autour de ces questions a amené Ayda à démarcher auprès de nombreuses associations et syndicats. On retrouve dans le carnet de compte-rendu des Assemblées Générales des initiatives à mener auprès des syndicats de Haute-Garonne afin de voir s'ils ne peuvent pas apporter leur aide et des " tuyaux sur des petits boulots13 " pour les exilés. Même si la qualification professionnelle de ces réfugiés était élevée (universitaire, journaliste, cadre, libraire, enseignant…), il leur a été très difficile d'accéder à des emplois. La Dépêche du Midi par exemple a offert des " piges " (articles payés au volume en langage journalistique) à quelques journalistes dont Mohamed Bahrour par exemple. L'Université Toulouse - le - Mirail a embauché certains Algériens qui avaient le statut d'étudiants comme vacataire de bibliothèque par exemple14 . Certains ont rencontré des difficultés extraordinaires : un instituteur s'est transformé en jardinier en essayant par le porte à porte de trouver des engagements chez des particuliers. Certains ont été obligés de faire des ménages. Cependant, ces emplois n'apportaient qu'une aide " superficielle " car ils étaient provisoires. Il existe un cas édifiant rapporté par Georges Rivière, d'un professeur de médecine d'Oran, spécialiste de la chirurgie osseuse. Cet homme reconnu pour ses compétences a été obligé, pour survivre, d'accepter de faire des opérations chirurgicales qu'on lui rétribuait, au noir, pour un montant de 500 francs. IL est impensable que l'on ait pu proposer ce travail dans une institution universitaire, incarnation des idées de respect, de tolérance.
La difficulté du problème de l'emploi a été prise en considération au sein d'Ayda. En effet, devant le manque de coopération des entreprises et des institutions et pour essayer de sortir de l'impasse dans lequel les réfugiés se trouvaient, l'idée de monter une petite librairie de littérature maghrébine (in Asma n°0 mars 1995) ou bien d'établir une Société Anonyme à Responsabilités Limitées (SARL) (in bilan d'activité de l'association 1995/1996) avait été envisagée. Ces projets n'ont pas pu se réaliser de part la complexité de la mise en œuvre et le manque de temps à y consacrer.
Aujourd'hui certains réfugiés ont pu trouver un travail, à l'image du poète journaliste Abdelmadjid Kaouha ou de Mohamed Bahrour qui travaille au Conseil Général.
d) La scolarisation des enfants
Ce fut la question qui a posé le moins de problème. En effet, les enfants en âge d'être scolarisés l'ont été dans l'école du secteur de leur lieu d'habitation et se sont bien adaptés au système scolaire. L'intégration au sein de ces établissements s'est très bien déroulée. Les institutions de l'Education Nationale ont pris en charge ces enfants qui avaient subi un déracinement. Ils les ont accueillis pour certains d'entre eux à la cantine gratuitement. Ayda a pour sa part financé une grande partie de l'équipement scolaire nécessaire au bon déroulement de leurs études. De l'école primaire au lycée, l'association a apporté son soutien financier à ces enfants en assurant l'achat des fournitures et des livres. Ainsi on trouve le cas d'une jeune fille de 16 ans à qui Ayda a payé les manuels scolaires indispensables à la poursuite de ses études au lycée. Outre la question de la scolarisation, Ayda a essayé d'apporter à ces enfants certains loisirs. Par exemple on retrouve dans le cahier de compte-rendus des Assemblées Générales une possibilité d'envoyer les enfants en camps de vacances dans l'Ariège. Grâce à l'aide du Conseil Général de la Haute-Garonne, ces enfants ont pu recevoir un cadeau de Noël en 1995. Ces initiatives ont permis d'améliorer la situation pénible qu'ont vécue ces enfants en arrivant à Toulouse. Un film leur a donné la parole, qu'Ayda a projeté lors d'une soirée à la cinémathèque de Toulouse en mars 1999.
3) Les aides médicales : un élan de générosité
Le statut juridique des Algériens ne leur offrait pas la possibilité d'obtenir une couverture sociale. Cela signifiait que l'ensemble des frais de soins étaient à leur charge. L'absence de revenus ne leur permettait pas de subvenir à ce besoin essentiel. Grâce à l'aide d'Ayda, d'associations humanitaires comme Médecins du Monde ou Pharmaciens sans Frontières, les Algériens ont pu bénéficier de dons de médicaments par exemple. L'investissement des cliniques privées toulousaines (la clinique Saint Michel et la clinique des Cèdres) ainsi que de l'hôpital Joseph Ducuing ont permis de pallier ce problème par leur engagement généreux auprès de ces exilés.
L'histoire de l'hôpital Joseph Ducuing est originale et perpétue une chaîne de solidarité à travers les exils du XXème siècle. Cette structure hospitalière toulousaine plus connu sous le nom d'hôpital Varsovie a été fondée au mois de septembre 1944 par l'Etat Major de l'Agrupación de Guerilleros Españoles FFI de Toulouse pour recevoir les blessés provenant des unités de Guérilleros qui ont combattu les nazis. Il a reçu les blessés de l'opération Reconquista de España dans le Val d'Aran en octobre 1944. L'hôpital militaire se transforme en hôpital soignant les civils lors de la démobilisation des Espagnols FFI le 31 mars 1945. Jusqu'au 7 octobre 1950 la structure hospitalière a appartenu à l'Amicale des Anciens FFI et Résistants Espagnols (Aujourd'hui Amicale des Anciens Guérilleros Espagnols en France FFI). Par un arrête ministériel du 7 octobre 1950 Henri Queille dissout l'amicale qui confie l'hôpital au Professeur Joseph Ducuing qui s'était investi pendant la guerre civile espagnole au côté des réfugiés. Après plusieurs changements de statuts l'hôpital sur sa demande est intégré au Service Public Hospitalier. " Cet hôpital est le symbole d'une communauté Espagnole immigrée, le symbole de la participation des Républicains Espagnols à la Résistance Française, le symbole d'une médecine de dévouement, d'une médecine sociale " : c'est ainsi que le présente le docteur Charles Nieto, Vice-président de l'Amicale des Anciens Guérilleros Espagnols en France FFI dans une lettre adressée à Monsieur Grando lors du 55ème anniversaire de la création de l'hôpital Varsovie15 . Cet engagement de solidarité a perduré à travers l'accueil qui a été fait par l'équipe médicale de cet établissement aux réfugiés algériens. En effet, cet hôpital a accueilli de nombreuses familles d'exilés afin de suivre la santé des enfants (pédiatrie) et de soigner certains réfugiés qui nécessitaient une hospitalisation ou un suivi médical. Ces prestations ont été assurées, pour la plupart gratuitement pour les patients, elles ont été prises en charge par le centre hospitalier Joseph Ducuing. Les consultations de ces praticiens ont été ainsi effectué en solidarité avec les Algérien(ne)s exilés.
Outre une assistance médicale suivie, ces établissements de soins ont entrepris des aides ponctuelles. Ayda a accueilli deux blessés par balles, nécessitant des interventions chirurgicales lourdes et un suivi post-opératoire important. Le journaliste Mohamed Bahrour a du subir à son arrivée à Toulouse une opération de la hanche. Pris en charge dés son arrivée à l'aéroport par l'équipe médicale de la clinique Saint-Michel, il a été transporté en ambulance jusqu'à son lit d'hôpital. La générosité de ces médecins s'est traduite par la pose d'une prothèse de la hanche à prix dérisoire, de par la nature de l'opération. Au mois de septembre 1994, Ayda a payé les frais de prothèse se montant " à 6 000 francs16 " grâce à l'aide de deux entreprises. La société de matériel de chirurgie et implants ARTEY SARL a facturé un montant de 1847,86 francs de matériel médical nécessaire à la pose de la prothèse. L'entreprise PROTH-JET, basée à Biarritz, est spécialiste en implants chirurgicaux, en arthroscopie, matériel vidéo, neurochirurgie et ORL. Elle a, en guise de solidarité avec les démocrates algériens, offert 30% de remise. On voit apparaître sur la facture la mention " remise exceptionnelle action humanitaire ", le montant s'élevant à 6 499,53 francs a été ramené à 4 549,67 francs17 . Ces marques de solidarité ont permis à cet algérien de recouvrer la santé. Le suivi post-opératoire effectué par le personnel de la clinique à titre gracieux, a assuré le succès de cette intervention. L'hôpital Ducuing a réalisé des soins gratuits lors de la venue d'un professeur de médecine, blessé par balle, accueilli par Ayda en juin 1994. L'intervention chirurgicale s'est déroulée à Paris mais l'équipe médicale de l'hôpital a assuré le suivi post-opératoire de la convalescence de ce réfugié.
Ayda a aussi, en collaboration avec l'association ASDA de Rennes et la Clinique des Cèdres à Toulouse, organisé la venue d'un enfant algérien victime du terrorisme. Le compte-rendu de ce geste généreux a été effectué dans le rapport d'activité de 1998 : " nous avons accueilli en décembre 1998 un enfant algérien de 10 ans, grièvement blessé lors d'un attentat. L'opération à haut risque, ne pouvait pas être réalisée en Algérie. La clinique des Cèdres (administrations et équipe médicale) a pris en charge cette opération coûteuse. L'enfant a été sauvé, il a rejoint sa famille en Algérie. L'association ASDA de Rennes a pris en charge les frais de voyage. Cette action a été possible grâce à l'exceptionnelle solidarité de l'équipe médicale de la clinique. Elle témoigne de l'incurie du pouvoir algérien qui est réduit à laisser mourir des enfants blessés, alors que la nomenklatura se soigne à grand frais dans les cliniques européennes. Elle témoigne également de la violence quotidienne en Algérie, et de cette solidarité qui s'est spontanément manifestée dans la clinique ". Dans un article de la Dépêche du Midi daté du 25 décembre 1998 Ayda remercie " toutes les personnes, toutes les associations qui ont manifesté d'une manière ou d'une autre leur sympathie au petit garçon opéré à la Clinique des Cèdres. Beaucoup ont téléphoné, certains sont même venus le voir pour lui offrir jouets et friandises."
Plus loin, "elle tient à remercier profondément le Directeur de la clinique, le Docteur Espagno et son équipe qui l'ont accueilli et soigné gratuitement , le Docteur Carrié (chirurgien cardio-vasculaire), le Docteur Plas (neurochirurgien), le Docteur Singelin (anesthésiste), le Docteur Rassam-Laboudie (biologiste de la clinique) et les médecins du service de réanimation les Docteurs Delayance, Blanchet et Delbos." Ayda conclut dans son article par " un grand merci à tous pour cette solidarité chaleureuse qui, d'une certaine façon, peut être vue comme une résistance au terrorisme intégriste. "
L'ensemble de ces aides médicales ont permis aux exilés algériens de pouvoir bénéficier de soins, parfois vitaux, afin de mener une vie décente.