Deuxième Partie

 

 

Les hommes et les femmes qui font Ayda

 

I Les membres de l'association

La diversité politique et culturelle des membres qui se sont investis au sein d'Ayda a enrichi l'association. Elle constitue aussi une originalité.

1) Un engagement militant

 

a) Un renouveau associatif ?

L'engagement de ces hommes et de ces femmes au service d'une cause à multiples facettes s'inscrit certainement dans le renouveau associatif que connaît la France depuis la fin des années 1980.

Il est des idées reçues beaucoup plus tenaces que l'on ne pourrait croire. Devant les changements économiques et culturels qu'a traversé ou subi la France depuis l'après guerre, de nombreux repères ont été emportés. On constate, sans aucun doute, une désaffection à l'égard du politique. Mais comme l'explique Michel Wievorcka dans son livre " Raison et Conviction : l'engagement1" : " si les lieux classiques de l'engagement semblent aujourd'hui en grande difficulté… tout n'est pas décomposition et vide social dans les phénomènes qui traversent notre pays2 ". La modification du sens profond et des valeurs de l'engagement a entraîné une inflexion dans l'investissement individuel et collectif de la population. Les vieux schémas d'un militant dévoué " corps et âmes " à la direction, accroché à des idéologies dogmatiques sont révolus. Ainsi Jacques Ion3 avance des analyses mettant en lumière l'affaissement des grandes fédérations d'associations, elles-mêmes inscrites dans des réseaux idéologico-politiques (en particulier communistes, socialistes et catholiques). Cependant, on note dans les différentes variantes du mouvement de solidarité avec les démocrates Algériens, une réactivation de ces réseaux. Cela peut s'expliquer par le caractère éminemment politique de cet exil. On retrouve ainsi, le Comité pour la paix civile et la démocratie en Algérie, soutenu par le Parti Socialiste, le Comité National d'Action pour la Solidarité avec le peuple Algérien patronné par le Parti Communiste Français et France-Algérie citoyenneté soutenu par le Mouvement des Citoyens de Jean-Pierre Chevènement.

Cette mutation dans le militantisme entraîne un investissement individuel plus libre et une conscientisation plus approfondie des adhérents. Elle a pour conséquence d'amener des changements dans le fonctionnement même des associations. La place de l'individu est prise en compte au titre de sa présence et non de son titre. L'individu recherche beaucoup plus dans ses activités des résultats visibles ; en fait, il s'attache à établir un réalisme dans l'action. Plutôt que de rêver aux lendemains qui chantent ou au grand soir révolutionnaire la nouvelle figure du militant s'accroche à des preuves tangibles et recherche l'utilité de son action et du temps qu'il a investi. Il en est ainsi pour Ayda qui apparaît comme un bon exemple de cette mutation. En effet, en lieu et place de cet engagement au côté des démocrates algériens, ces militants auraient pu s'investir au sein de partis politiques ou bien créer une association à caractère idéologique. Ils ont choisi de se battre en assurant accueil et assistance à Toulouse tout en ne négligeant pas pour autant le côté " politique " de l'engagement. D'autres se seraient limités à mettre en évidence le versant idéologique de la question algérienne. Ce besoin d'actes inscrits dans la réalité, se retrouve depuis la fin des années 70 dans l'engagement de plus en plus conséquent dans les associations dites humanitaires telles que Médecin du monde, Médecin sans frontières ou bien encore les Restaurants du Cœur. Ce militantisme repose sur une forte adhésion à des idées et à des valeurs que les militants ont déclinées sur le terrain en essayant de les appliquer.

La démocratie, pierre angulaire de l'association Ayda a entraîné un fonctionnement spécifique, dans lequel, le bureau élu par l'Assemblée Générale de tous les adhérents n'a qu'un rôle institutionnel. C'est une assemblée souveraine des militants, ouverte à tous, qui décide de l'orientation d'Ayda avec pour principe 1 adhérent(e) 1 voix. Cette manière de fonctionner appuie l'idée de mutation dans la nature des engagements, soulignant le souci de démocratie, de participation active et d'égalité devant les responsabilités.

Le militantisme au sein d'Ayda se différencie de manière très nette par rapport aux idées véhiculées dans les années 70 en France et c'est en cela aussi qu'il s'inscrit dans ce renouveau associatif. En effet, les adhérents actifs sont issus pour la plupart de couches élevées ou aisées de la société, on y retrouve des professeurs d'université, des médecins, des professions libérales (producteur de cinéma journaliste par exemple) pour le côté français, et des journalistes, libraires ou encore professeurs d'université pour les Algériens exilés. La proportion de métiers plus modestes dans l'échelle sociale est faible. Cette uniformité relative de l'équipe militante a influencé l'orientation politique, au sens large du terme, en orientant les prises de positions de l'association dans un cadre institutionnel. L'engagement anti social des années 1970 est bien fini. Ayda se sert des structures sociales, utilise les institutions à son profit (même si nombre d'entre-elles ont rejeté ces sollicitations à l'instar de la mairie de Toulouse) afin d'assurer son fonctionnement, de mettre en œuvre ses orientations et de réaliser ses objectifs de départ. On peut peut-être suggérer la qualificatif de militantisme pragmatique dans cet engagement associatif.

 

Ayda cherche en effet à s'intégrer dans un cadre sociétal et dans des schémas de fonctionnement lui permettant de recouvrer une reconnaissance " institutionnelle " dans le microcosme toulousain et ses aires d'influences.

L'engagement au sein d'Ayda procède d'une démarche individuelle consciente et réfléchie. Elle s'illustre par le rassemblement d'idéologies différentes dans un projet commun : l'aide matérielle et morale aux démocrates algériens. Cette diversité en fait sa force, car elle entraîne une confrontation d'idées et un bouillonnement idéologique productif. L'apport d'expériences différentes dû à la variété d'horizons politiques permet d'appréhender les questions à l'aide d'une focale élargie. Cette richesse se décline de manière concrète, en observant le parcours politique de certains militants que nous examinerons dans la deuxième partie de notre développement (des horizons diversifiés).

Le militantisme associatif fonctionne certes, hiérarchiquement et statutairement (bureau, assemblée générale, etc.), mais surtout dans une structure de proximité et de décisions d'une minorité très présente du fait de son engagement dans le cadre d'Ayda. Mais on note une utilisation importante des réseaux informels permettant de débloquer certaines situations ou bien de faciliter la circulation de l'information. De plus, ils permettent parfois d'assurer un soutien financier et matériel gage d'une ouverture et d'une efficacité accrue des projets de l'association.

 

b) Dans une ville aux couleurs de l'Histoire 

Au cours du XXème siècle, l'histoire a connu de nombreuses crises et soubresauts entraînant l'exil quelquefois massif de populations civiles et militaires. Ces déplacements de populations ont marqué les mémoires et ont influencé parfois le caractère d'une ville. Ancrés dans la " tradition d'accueil " ou bien suscitant des vocations réveillant la fibre politique, soulevant des engagements jusque là enfouis, l'arrivée de ces hommes, de ces femmes et de ces enfants a parfois transformé la vie de nombreux individus.

L'exil, cet état provisoire mais incertain, apparaît comme un déracinement moral peut-être plus qu'une rupture d'environnement. Au départ, l'exil est ressenti comme une abstraction, un moment pour se reposer, se mettre à l'abri et prendre du recul face au drame que traverse le pays. Dans l'impensable espoir d'un retour au calme, l'attente se transforme en certitude du temps. L'installation provisoire se métamorphose, on entre dans l'exil et souvent dans la précarité. Cette situation développe l'ambiguïté et soulève de nombreuses questions. Le fait d'être sain et sauf, d'avoir échappé à une mort certaine en Algérie se superpose à l'idée d'être sur l'autre rive de la Méditerranée sans pouvoir faire beaucoup, sans être aux côtés de ceux qui luttent pour la démocratie dans le pays. On retrouve cette constante dans plusieurs interview d'exilé(e)s notamment dans celle d'un journaliste algérien4 publiée dans la Dépêche du Midi en mai 1995. " J'ai honte d'être là au moment où le devoir me commande d'être là-bas. Je me sens lâche. J'ai fini par avoir honte de ne plus partager la terreur, la douleur et le deuil. Ce qui est devenu le lot quotidien d'un peuple dont j'avais partagé l'espoir en un monde meilleur ". Mais devant ce désarroi et parfois le découragement, les marques de solidarité apparaissent comme un rempart, un soutien d'une inestimable profondeur.

" Toulouse, à nouveau capitale de l'exil " : ce titre d'un article de la Dépêche du Midi du mois de mai 1995 nous replonge dans les méandres de la mémoire.

1939, février : la neige et le froid accompagnent la longue file des Républicains espagnols qui tentent de fuir le franquisme et les répressions. Après 3 ans de luttes acharnées, la guerre civile espagnole lança sur les routes plus de 470 000 personnes, hommes, femmes, enfants, vieillards qui trouvèrent refuge, pour la plupart, en France. Toulouse surnommée " La Rouge " à cette époque-là ne fut pas insensible au drame de ces milliers de personnes. Liée géographiquement et historiquement à l'Espagne républicaine, elle vit passer en 1939 quelques 100 000 réfugiés dont 25 000 y demeurèrent. La région toulousaine accueillit au total 40 000 exilés5 . Devant un tel phénomène, la Ville Rose se mobilisa, et les actes de solidarité se concrétisèrent aussitôt. Présentant rapidement ces mouvements de solidarité, nous essayerons de montrer les analogies et les dissemblances de ces élans de soutien aux démocrates en exil, républicains ou algériens.

L'accueil réservé par les autorités françaises aux Républicains espagnols provoqua de la part d'une partie de la population, un souffle d'indignation et de colère. Bien qu'il soit difficile de la part des toulousains, comme elle l'indique dans ses travaux, Florence Mila s'est appuyée sur " des documents, témoignages et archives prouvant l'existence de cette mobilisation que la presse régionale d'alors relata sous forme d'articles et bien souvent de communiqués6 ". On apprend ainsi que s'ajoutant aux associations d'entraide constituées par les exilés (Solidaridad Democratica Española PSOE et UGT - Solidaridad Española PCE - Solidaridad International Antifascista CNT Tendencia Solidaridad Obrera - Solidaridad Confederal CNT Tendencia España Libre - La Cruz Roja Republicana Española en Francia), la population s'est également mobilisée en apportant soutien matériel et moral. L'ampleur de cet exil a suscité d'inquantifiables actes de solidarité. Le mouvement a vu se côtoyer en son sein de très nombreux milieux sociaux, du commerçant au professeur en passant par l'ouvrier ou le paysan. Un élan de solidarité s'est constitué devant le désarroi et la précarité de ses milliers de personnes. La population toulousaine a marqué son soutien aux exilés en donnant de l'argent, des vêtements, des denrées alimentaires. Les partis politiques et les syndicats de gauche à l'instar de la SFIO ou de la CGT organisèrent des collectes de vivres et de vêtements, des distributions de denrées alimentaires et lancèrent à travers leurs organes de presse (exemple le Midi Socialiste) des appels à la solidarité. Ils furent les instigateurs du mouvement d'entraide et de solidarité et constituèrent au côté de la population, un pôle de solidarité remarquable. Cependant certains milieux sociaux s'organisèrent pour venir en aide à leurs homologues espagnols. Ainsi on note la création, dès les premiers mois de la guerre civile, d'un " Comité universitaire toulousain des amis de l'Espagne républicaine ". Il comptait parmi ses membres les professeurs Joseph Ducuing, Vladimir Jankélévitch ou encore Daniel Faucher. S'y étaient joints, un comité d'étudiants et un collectif des médecins sur l'initiative du professeur Ducuing pour la collecte et l'acheminement des médicaments. Ce comité prit en charge le soutien matériel (vivres, vêtements, logement…) et moral des exilés espagnols. Il essaya de faire sortir des camps d'internement de nombreux intellectuels espagnols et de leur trouver un emploi afin qu'ils puissent obtenir un statut et leur assurer ainsi un début de stabilité dans leur long exil qui commençait. Il utilisa la presse comme moyen de communication et lança dans la Dépêche du Midi plusieurs appels (dons en nature, denrées alimentaires, produits pharmaceutiques, linge, literie, équipements ménagers et dons en argent) en faveur de la solidarité avec les Espagnols. Il put compter sur le soutien des institutions et notamment de la municipalité (Elie Prévot étant maire socialiste de Toulouse) qui se joignit à cet élan avec les moyens qu'elle possédait. " La municipalité socialiste de Toulouse, consciente des devoirs d'hospitalité qui lui incombent, a fait dresser 500 lits dans les différentes colonies de la ville pour recevoir les réfugiés7 ". Elle prêta gracieusement, deux casernes de pompiers désaffectées afin de loger les Républicains au 6 rue du Conservatoire et au 27 rue B. Mulia St Sauveur. La préfecture de Haute-Garonne, quant à elle, lança un appel en faveur des exilés par voie de presse. La population participa ainsi à cette chaîne de solidarité refusant de laisser dans l'indifférence et le mépris des milliers d'hommes et de femmes qui s'étaient battus pour un idéal et une espérance en un monde meilleur.

L'exil algérien aujourd'hui est sans commune mesure avec celui que dut affronter Toulouse en 1939. A sa façon cependant, il présente des similitudes et des différences qui sont intéressantes à mettre en lumière. Plus par le mouvement de solidarité que par les exilés eux-mêmes, cet élan de générosité s'inscrit peut-être dans une " tradition d'accueil toulousaine ". Le nombre incontestablement minime des démocrates algériens a pourtant suscité des engagements tout aussi intenses. On a vu la façon dont la solidarité face aux espagnols s'étaient déroulée et l'investissement de ces universitaires toulousains. Cinquante-cinq ans après, ce sont, pour la plupart d'entres eux, des universitaires qui réagirent face aux drames algériens. La proportion d'enseignants dans le premier bureau d'Ayda est remarquable. Cette mobilisation universitaire, peut, peut-être s'expliquer par l'accès facilité au savoir et à la connaissance. De plus de nombreux militants d'Ayda, malgré leur jeunesse ont vécu la fin de la période franquiste à Toulouse ou ailleurs. Certains, à l'instar de Georges Rivière ont milité aux côtés des exilés Espagnols dans certaines de ces organisations. Il a ainsi côtoyé de nombreux Républicains toujours imprégnés des idées politiques datant de la guerre civile. Présente dans les mémoires toulousaines, cet inconscient collectif a peut-être joué dans l'engagement auprès des Algériens. Cependant, cela est très difficile à apprécier et fait ressurgir d'un passé pas si lointain, certains épisodes peu glorieux de l'histoire française. La mémoire fluctuante des relations franco-algériennes emprunte des chemins beaucoup plus proches et certainement chargés de plus d'émotions dans le cas de ces militants toulousains.

Devant l'évolution des mœurs et le changement des mentalités au cours de ce siècle, on retrouve une constante dans la population qui malgré les obstacles qu'elle rencontre, s'investit grandement auprès de ceux qui en ont besoin. Il en est ainsi pendant la seconde guerre mondiale lorsque de nombreux enfants juifs furent cachés par des familles toulousaines de confession chrétienne8 . Cette solidarité a vu le jour grâce à la prise de position de l'archevêque de Toulouse, Mgr Salièges qui, dans sa lettre pastorale du Dimanche 23 août 1942, appelait la communauté catholique, en référence au message divin et à " la tradition du respect de la personne humaine9 ", à se mobiliser en faveur de la communauté juive. Ces prises de position de l'épiscopat régional eurent un effet sur l'opinion publique en intensifiant l'aide, très souvent clandestine, apportée aux juifs. La diffusion et la conscientisation du drame que vivent ou ont vécu ces populations est pour une grande part passé par la presse. Cependant on peut noter la faiblesse de la couverture médiatique d'un journal comme la Dépêche du Midi. Le soutien des institutions quant à lui est apparu bien restreint, minimaliste et peureux (exceptée l'aide financière du Conseil Général e la Haute Garonne) face à l'engagement à la fois de la mairie et de la préfecture en faveur des Républicains espagnols. Cette timidité, peut s'expliquer par les différentes orientations politiques de ces collectivités territoriales (1939 Toulouse était socialiste ; 1994 Toulouse était centriste , le Conseil Général était socialiste et le Conseil Régional de droite) le contexte historique, l'ampleur du phénomène mais aussi une appréciation divergente des notions d'exil politique et d'immigration.

Peut-on cependant parler de Toulouse comme d'une ville de tradition d'accueil, de capitale de l'exil comme le suggère une journaliste de la Dépêche ? Cela est difficile à apprécier et mériterait une étude spécifique. L'Hôpital Joseph Ducuing, plus connu dans la mémoire toulousaine sous le nom d'Hôpital Varsovie, a, part son engagement auprès des Algériens, perpétué une solidarité lourde de sens que des guérilleros venus d'Espagne avaient, au nom de la Liberté et de la Démocratie, un jour de septembre 1944 créé à Toulouse10 . N'est-ce pas un beau clin d'œil de l'Histoire ?

 

2) Des horizons diversifiés

 

a) Les premiers militants 

Ayda a drainé dès le début des militants issus de milieux divers et d'horizons politiques différents. Certains se connaissaient, d'autres sont devenus amis, d'autres encore se sont séparés, tissant ainsi des relations humaines. Cette aventure humaine n'a pu se réaliser qu'à partir de la volonté de quelques individus et à leur travail bénévole au service de l'association. Elle a connu beaucoup de frictions internes, entraînant parfois des crises et des départs plus ou moins nombreux. Certains sont dus à des divergences d'orientations politiques, d'autres à des désaccords de principe, d'autres encore à de la lassitude ou des incompatibilités de caractères. Cependant l'association a su pendant ces six années surmonter toutes ces difficultés et mener à bien son projet.

Les premiers militants sont marqués par une certaine diversité politique, culturelle et professionnelle. D'horizons multiples, ils se sont retrouvés autour d'un engagement fort. En effet, il y eut au départ d'Ayda plusieurs professeurs d'université dont beaucoup faisaient parti du groupe de recherche sur les études féminines (le groupe Simone) à l'université Toulouse - le - Mirail. Mais très vite ce premier noyau se désagrège. Et lors de la première assemblée générale, une équipe quelque peu renouvelée va être mise en place. Cette diversité plurielle s'ouvre sur trois lectures différentes. Sur le plan professionnel, on note un engagement balayant plusieurs centres d'intérêts tels que le journalisme, l'enseignement ou bien encore les professions libérales. Cet éclectisme apparaît au niveau culturel lorsque certains militants à l'image de Zaïda Mathieu apportent leur héritage culturel en guise de richesse. Cependant la diversité la plus flagrante s'exerce aux niveaux des horizons politiques différents, de l'histoire et de l'itinéraire de chacun. Certains ont fait leurs classes et leurs débuts de militantisme chez les anarchistes espagnols exilés à Toulouse depuis la guerre civile ; d'autres ont parcouru les chemins difficiles du combat féministe dans les années 1970 avec la création du MLAC. Certains sont proches des courants d'extrême gauche, nombre d'entre eux se reconnaissant au sein de courants d'idées moins extrémistes tels que la social-démocratie. Cette multiplicité politique a entretenu certains points de frictions mais a permis de confronter toutes sortes d'expériences afin d'enrichir les débats internes.

Mais cet engagement n'a pu exister que grâce à l'attachement à certaines idées fortes qui liaient tous ces militants entre eux. En effet la cohésion de l'association se fédère autour des idées de solidarité, démocratie, liberté ou encore droits des femmes. Cette foi en l'Homme leur a permis d'avancer positivement. La démocratie, notion large à multiples entrées, est en continuel changement et ne peut s'appliquer de la même manière, avec les mêmes appréciations dans une société occidentale et une société maghrébine par exemple. La conception d'Ayda a permis de prendre en compte le plus de paramètres possibles en permettant ainsi de s'identifier à la Démocratie " au sens large " ne s'attachant pas à mettre en œuvre les moyens que celle-ci nécessite. C'est en cela qu'Ayda n'a pas été le réseau de solidarité lié à un ou à des partis politiques algériens. L'univers militant de ces membres actifs a influencé certainement (doublé de la situation réelle en Algérie) l'orientation d'Ayda vers le combat pour le droit des femmes qui fait parti intégrante de la lutte pour la démocratie. On retrouve plusieurs prises de positions, des collaborations avec des associations algériennes sur cette question capitale.

Mais cet engagement s'inscrit dans un cadre peut-être plus large mais très difficile à percevoir car les relations franco-algériennes sont souvent très passionnées et on entre là dans les convictions profondes de l'individu et peut-être même dans l'inconscient. En effet, il n'est pas facile de comprendre quels sont les cheminements intellectuels qui ont permis de rassembler plusieurs personnes autour d'un même thème " ni très porteur, ni très porté "

Geneviève Azam, professeur d'économie à l'université Toulouse - le - Mirail, s'est engagée au CISIA avant de participer à la fondation d'Ayda . Elle est actuellement vice-présidente de l'association mais a occupé la place de Présidente du 14 avril 1994 (date de la création) au 12 février 1999. Très engagée pendant ces quelques 4 ans de militantisme, elle se tourne aujourd'hui vers d'autres associations telle que ATTAC ( association d'envergure mondiale composée de sections locales, militant pour la taxation des capitaux en reprenant l'idée de l'économiste Tobin). Cette toulousaine de naissance s'est toujours investie dans le mouvement associatif et notamment au cours des années 70 dans la mouvance libertaire. Elle a aussi participé à l'acheminement et la constitution de convois de médicaments en faveur des Polonais en compagnie de Michel et Marie Didier.

Zaïda Mathieu est arrivée en France en 1993 pour des raisons privées. C'est une canadienne francophone d'origine algérienne qui s'est installée à Toulouse. Après avoir réalisé un DESS sur les rapports sociaux de sexe au Mirail, elle enseigne la sociologie dans cette même université. A l'instigation d'Ayda et du Réseau Solidarité avec les femmes algériennes, elle a entraîné une dynamique importante et a certainement permis le déclic nécessaire à la création de ces associations. Elle fut secrétaire générale d'Ayda, de sa création à la première assemblée générale, quittant l'association devant des divergences idéologiques profondes. Son engagement et ses origines familiales lui ont permis de mettre au service d'Ayda ses connaissances, afin de faciliter la venue d'Algériens, notamment pour l'hommage du 27 mai 1994 au théâtre Garonne. Elle explique son engagement dans cette cause par un sentiment de culpabilité par rapport à sa nature d'émigrée algérienne. Elle se sent une responsabilité morale face à son émigration très jeune au Québec et sa passive collaboration avec l'Algérie. Elle a ressenti le besoin de réagir face au drame algérien, de part l'éducation qu'elle a reçue (sa famille était liée à l'ex-PAGS), la proximité géographique et l'influence de son parcours littéraire. La mort d'un écrivain comme Tahar Djaout a accentué cette nécessité de " faire quelque chose ". Après son départ d'Ayda, elle a monté une nouvelle association qui s'appelle le COMMED (Communication et Médiation).

George Rivière, a pour sa part, eu un parcours un peu différent. Engagé très jeune au sein du mouvement libertaire, il a côtoyé de nombreux réfugiés espagnols républicains exilés. Membre du CISIA à sa création à Toulouse, il s'est senti interpellé face au drame que vivait l'Algérie. Avant de rentrer à Ayda dont il fut un des piliers, il avait écrit un article dans un journal libertaire sur cette Algérie. Il fut très tôt l'un des premiers membres d'Ayda d'origine française à se rendre en Algérie. Trésorier de l'association de novembre 1994 à septembre 1995, il occupa ensuite le poste de vice-président jusqu'en 1999. Très investi au sein d'Ayda, il le fut aussi dans des projets spécifiques comme les actions de formations de cadres associatifs et syndicaux ou bien encore dans la caravane des associations démocratiques algériennes qui sillonna la France au mois d'octobre 1998. Il quitta Ayda au début de 1999 pour fonder l'association ARCAM qui réalise des projets en collaboration avec des associations françaises et algériennes.

Michel et Marie Didier, militants de longue date, ont marqué Ayda de leur présence. Michel Didier est professeur d'université dans l'établissement d'enseignement supérieur Toulouse - le - Mirail. Très connu sur le plan toulousain, il jouit ainsi d'une notoriété importante qui a facilité nombre de démarches pour l'association. De la génération précédente, il a connu la guerre d'Algérie et fait partie du petit nombre des déserteurs refusant d'aller se battre dans une guerre qui ne voulait pas dire son nom. Il occupe actuellement le poste de président de l'association depuis le 12 février 1999. Il a été vice-président pendant quelques temps et avait en charge au sein d'Ayda le côté juridique et les rapports avec les institutions. Sa femme, Marie Didier, s'est aussi très investie dans le fonctionnement de l'organisation. Gynécologue de profession, elle a pu ainsi faciliter les rapports avec le milieu médical. Elle avait en charge la question du logement des exilés et de leurs familles. La notoriété dont elle jouit à Toulouse est due pour une part à son parcours militant. Elle a été à l'initiative de la création du MLAC à Toulouse en 1973 et signa le manifeste des femmes ayant déclaré avoir fait ou subit un avortement.

D'autres personnalités au sein d'Ayda ont emprunté des chemins différents, à l'image de Paul Chiésa (responsable d'une maison de production Lapili films), né à Oran et qui s'est investi largement dans l'association. Il avait ainsi un autre type de contacts avec l'Algérie. Certains étudiants se sont aussi investis dans l'association afin d'apporter leur expérience ou bien en marquant leur soutien par leur adhésion. Mais la plupart ont quitté Ayda ne supportant pas la spécificité du fonctionnement imposé par l'association.

En effleurant ainsi le parcours de ces quelques militants, on s'aperçoit de la densité de leur engagement au service de multiples causes. Malgré les départs plus ou moins difficiles de nombreuses personnes, ces dernières n'ont pas abandonné l'idée de " faire changer les choses " et se sont investies au sein d'associations qu'elles ont créées ou bien qu'elles ont rejointes.

 

b) Une ouverture vers la communauté algérienne de Toulouse

De part la nature de l'orientation de l'association, il paraissait évident d'essayer d'établir un lien entre la communauté algérienne exilée et les différentes vagues de l'immigration algérienne installée à Toulouse. Cette volonté manifeste de certains membres d'Ayda à l'image de Geneviève Azam a été un échec. Elle l'analyse comme tel11 . Plusieurs explications peuvent être avancées afin de mieux comprendre cette déception. Selon Georges Rivière, la difficulté est venue de la nature même de l'aide apportée. En effet, travailler auprès des réfugiés politiques dénote une spécificité. Il s'agit de ne prendre en compte qu'une infime partie de l'émigration algérienne. Cependant il y a de nombreuses rancœurs et de multiples préjugés de la part des deux parties. Une certaine vision stéréotypée de l'exilé le présentait comme un nanti, ayant collaboré avec le pouvoir en place et venant se mettre à l'abri en France. Il y avait ainsi un climat de méfiance qui s'installait, de par la situation même que traversait l'Algérie. De l'autre côté, les exilés souhaitaient se différencier profondément de cette immigration pour garder leur spécificité et affirmer leur statut à part entière. Ayda n'a pas pu faire face à toutes ces contradictions et établir un lien solide et durable entre les membres de la même communauté pourtant si différents.

Quelques tentatives ont été organisées au cours de ces six années. La plus importante fut sans aucun doute l'hommage rendu au chanteur de Raï Cheb Hasni en 199412 . Sur la proposition de jeunes de la Reynerie, Ayda a été sollicité pour co-organiser une manifestation qui a drainé de nombreuses personnes d'horizons divers. Ce rassemblement sans suite a permis d'établir un contact entre les exilés et la communauté algérienne de Toulouse. Au cours de quelques autres manifestations publiques dans le cadre d'hommages à des personnalités assassinées ou dans le cadre de conférences ; certains liens se sont établis à l'échelle individuelle. Cela concerne plus spécifiquement des femmes et des jeunes peut-être plus conscientisés face au drame algérien. Cette sur-représentation des femmes s'explique peut-être par la nature même de leur engagement et leur force de réaction à résister en Algérie. On peut peut-être, parler de mimétisme ou d'identification des femmes de Toulouse au combat des femmes en Algérie.

L'exemple le plus intéressant est probablement la personne d'Akila Salmi. Educatrice de profession, elle habite à l'Union dans la banlieue toulousaine. Née en Algérie, elle a la nationalité française et s'est investie au sein d'Ayda durant ces dernières années et occupe actuellement le poste de secrétaire générale de l'organisation. C'est un exemple rare de l'investissement d'un membre de la communauté algérienne toulousaine dans l'association.

Cependant Ayda a reçu plusieurs propositions d'aides de la part de nombreuses personnes à la suite de manifestations organisées sur le plan toulousain. Il en est ainsi d'une lettre envoyée par une jeune femme après avoir assisté à l'hommage à Lounès Matoub place Arnaud Bernard en juillet 1998. Elle souhaitait dans son courrier " faire connaissance " avec l'équipe d'Ayda et apporter sa solidarité et son énergie à l'association. Attendant une réponse de la part des membres d'Ayda elle les remercie pour leurs actions permettant un rassemblement de la communauté algérienne. Elle souhaite par cette démarche " apporter [sa] pierre à l'édifice " de la solidarité. Ces démarches individuelles ne peuvent cependant pas être considérées comme une réussite dans l'établissement des liens entre les membres d'une communauté.