2) Les actions de formation

 

a) Une initiative originale

Cet aspect original de l'engagement associatif d'Ayda s'est réalisé de manière très indépendante dans un premier temps. En effet, les premières actions de formation ont été entreprises par Georges Rivière, antérieurement à son engagement au sein d'Ayda. Ce dernier, comme il le raconte dans ses entretiens, avait écrit un article sur l'Algérie intitulé " L'Algérie entre le sabre et le goupillon " paru dans " le Monde Libertaire " organe officiel de la Fédération Anarchiste en France. Dans cet article, il présentait une vision de l'Algérie et de la crise qu'elle traversait et y exprimait son point de vue. Par un hasard extraordinaire, cette étude attira l'attention de Marie Ange Poyet, journaliste au Figaro, qui a réalisé plusieurs reportages sur ce pays et qui y a séjourné régulièrement dans le cadre de ses activités professionnelles. Intéressée par la perspicacité de ce papier, elle est rentrée en contact avec Georges Rivière, pensant qu'il avait des origines algériennes et qu'il connaissait très bien ce pays. Il s'est avéré qu'après ce premier contact téléphonique, ils ont sympathisés et sont restés en contact.

En Algérie, l'association Comité des Associations s'Occupant de la Famille souhaitait organiser une formation sur la communication, pour près de quatre-vingt organisations. Le projet ambitieux de cette association consistait à réunir plusieurs cadres associatifs et à leur apporter une approche nouvelle sur le thème de la démocratie, du fonctionnement interne et des relations extérieures nécessaires à la bonne marche d'une organisation. Des circonstances particulières ont entraîné l'annulation de la venue des trois formateurs initialement prévus. Salima Deramchi, présidente du Comité des Associations s'Occupant de la Famille, s'est vue dans l'obligation de rechercher de nouveaux intervenants à moins de deux semaines de la manifestation. En contact avec Marie Ange Poyet, elle a sollicité son aide. La suite nous est racontée par le principal acteur de l'histoire, Georges Rivière, de manière très évocatrice et imagée. Extrait d'entretien : " … et un jour, par ailleurs, il y avait un Comité des Associations s'Occupant de la Famille présidé par Salima Deramchi qui avait des programmes de formation de cadre associatif démocrates qui recouvraient environ quatre-vingt associations ; et je ne sais pas exactement ce qui s'est passé, les 2 ou 3 formateurs qui étaient prêts à venir lui ont claqué dans les pattes. Donc ils ont débarqué à Toulouse, ils sont venus me voir à mon boulot en me disant : voilà. Les Algériens et Salima Deramchi ne savaient pas trop comment faire et Marie Ange Poyet lui a dit bon écoute on va te trouver deux ou trois allumés en France qui vont pouvoir faire de la formation en communication. J'en connais un qui est assez malade à Toulouse. Ils débarquent et ils me disent écoute, est-ce que tu es d'accord pour faire cette formation à Alger ? Au pied levé, dans la semaine, je suis parti là-bas et commençait la grande aventure. Ça s'est fait en trois fois et c'est vrai que ça m'a complètement transformé. "

Cette formation était constituée de trois stages, composés chacun de plusieurs modules. Georges Rivière a élaboré celui concernant la communication. On ne retrouve aucune trace de ces deux premières séquences dans les archives d'Ayda. La première phase débutée en 1994 à Alger, a permis une évaluation des besoins et un recensement des attentes de ces associations. En 1995, le deuxième volet a été bâti autour de l'utilisation des outils techniques et théoriques de fonctionnement et des méthodes participatives de prise de parole. Cet engagement de la part des formatrices et des formateurs a permis aux participants de prendre conscience de leurs capacités et de leurs faiblesses et d'élaborer en commun le contenu de la dernière formation. L'une des propositions émises lors de ces séminaires de travail a été concrétisée par la création d'un guide des associations algériennes. Ce projet collectif a composé le contenu de la troisième tranche de la formation. L'élaboration de ce guide des associations algériennes s'inscrivait dans une perspective beaucoup plus élargie ouvrant des horizons multiples. Ainsi, comme le souligne Georges Rivière dans le compte-rendu de sa formation, " des thématiques essentielles pourraient être développées par la suite, sous forme d'une déclinaison de ce premier guide [créant] un effet collection66 ". Il explique ensuite que la conception de ce guide " est indissociable de la démarche de ré appropriation du savoir, entreprise lors des sessions précédentes. Son élaboration professionnelle, collective, dégagerait un savoir-faire et des compétences qui permettraient la prise en charge, autonomes, d'outils (écrits et imprimés) d'information efficiente67 ". La conception, l'élaboration et la réalisation de ce guide ont débuté à Alger, aux mois d'octobre/novembre 1996. Le module s'est structuré autour de plusieurs ateliers recouvrant l'ensemble des différentes phases nécessaires à la création de cet ouvrage. Un travail en petit groupe a été effectué afin d'établir une méthode de synthèse éditoriale permettant ainsi d'élaborer un genre de revue de presse. Un autre atelier a consisté à travailler autour des statuts d'association afin d'établir un modèle de référence utilisable dans le guide. L'initiation à la mise en page et à la hiérarchie typographique a fait l'objet d'un atelier commun où les participants ont pu aborder les notions de bases et s'essayer à la Publication Assistée par Ordinateur (PAO). La conception du plan général du guide a amené une réflexion sur son contenu et le mode de feuilletage adopté. Les différentes rubriques (historique sur la naissance du mouvement associatif en Algérie - préface sur le mouvement des femmes - rubriques de chiffres clés sur les questions de démographie, santé, problèmes sanitaires et sociaux, enfances, cultures - index alphabétique, thématique et géographique des associations - corpus de l'ouvrage avec la carte d'identité de chaque organisation) ont fait l'objet de plusieurs interrogations dont celle du choix de la langue. En effet, la possibilité d'établir un guide trilingue (arabe, amazigh et français) a été envisagée. La cinquième séquence a été consacrée à l'élaboration d'une page type permettant de mettre en œuvre les observations étudiées et de travailler sur le problème des formats. Ces journées de formation se sont terminées par la préparation collective d'un questionnaire à envoyer à l'ensemble des associations susceptibles d'être intéressées par leur apparition dans ce guide afin recueillir les renseignements nécessaires à son élaboration. Le dernier point abordé fut la commercialisation et les obligations (recherches d'un imprimeur, d'un fournisseur, de sponsors et de financement) qui en découlent.

Ces stages n'ont pas requis de gros investissements. A titre d'exemple le troisième volet a nécessité l'achat de journaux, de stabylos et l'utilisation d'un tableau noir et de craies ou de papier avec des feutres et celle d'un ordinateur Macintosh eu égard aux logiciels utilisés.

Cette expérience d'une grande richesse dans les échanges a permis d'établir des liens avec les militants restés en Algérie. Elle s'inscrit dans une approche distincte de l'action toulousaine de l'association et intègre des paramètres différents amenant à une conception beaucoup plus tournée vers les gens demeurés au pays. Elle rejoint en un sens la philosophie du projet de la caravane d'associations qui ont sillonné la France en 1998.

 

b) Ayda : l'interface entre Tiaret et Toulouse, La formation de formateurs syndicalistes

La mise en place de formations par Ayda s'est concrétisée également par le projet établi en 1997 entre l'Union Départementale de la Haute-Garonne de la Confédération Générale du Travail (UD-CGT 31), l'Association pour l'Enseignement et la Formation des Travailleurs Immigrés et de leurs familles section de la Haute-Garonne (AEFTI 31), l'Union de la Wilaya de Tiaret de l'Union Générale des Travailleurs Algériens (UW-UGTA Tiaret) et Ayda Toulouse. Cette initiative de " formation de formateurs syndicalistes issus de 'UGTA68 " a été relayée par Ayda dans le but de permettre des échanges privilégiés entre ces deux centrales syndicales. L'association a ainsi joué le rôle d'interface.

C'est à la demande de l'UGTA de Tiaret, par l'intermédiaire de son secrétaire Général Ahmed Bouader que cette formation à été entreprise. Le choix de Tiaret s'est naturellement porté vers Toulouse, car un des membres d'Ayda intervenait aussi au titre de correspondant de l'UW-UGTA Tiaret et maintenait des contacts très fréquents entre les deux villes. La CGT a été privilégiée par la centrale syndicale algérienne, car elle était apparue comme un partenaire de premier plan depuis l'Indépendance. La prise en charge pédagogique, effectuée à Toulouse, a été assurée par l'AEFTI 31. Cette organisation implantée sur tout le territoire français, à pour but d'apporter une aide aux travailleurs immigrés et à leurs familles dans le domaine de l'emploi, de la formation et de ses dérivés (Orientation professionnelle - recherche d'emploi - insertion - droits des salariés - contrats - remise à niveau - informatique). Elle participe à de nombreux projets ayant trait aux difficultés liées à l'immigration.

La mise en place de ce projet s'est élaborée au cours de deux rencontres, la première s'étant tenue à Toulouse du 26 mars au 7 avril 1997 entre Joaquim Miranda, représentant de la CGT, Mohamed Bahrour, membre de l'association Ayda Toulouse et correspondant de l'UW-UGTA Tiaret, et Guy Scerri et Jean-Claude Louis, président et vice-président de l'AEFTI 31. Le déplacement d'un délégué d'Ayda (en l'occurrence Georges Rivière) à Alger et Tiaret au nom du partenaire français de l'UW-UGTA Tiaret (l'UD-CGT 31) s'est déroulé du 26 avril au 3 mai et a permis de recenser les besoins précis des syndicalistes algériens ainsi que de mettre en évidence " les sollicitations financières nécessaires à la réalisation de ce programme69 ". Cette rencontre a eu lieu en présence de responsables syndicaux représentant des secteurs de la métallurgie, du BTP et de l'éducation.

Cette démarche s'inscrit dans le défi auquel doit répondre cette organisation syndicale, confrontée à l'ouverture à l'économie de marché que met en place l'Algérie. Après la fin du parti unique et la libéralisation économique encadrée par le FMI, les repères ont éclaté. Cette entrée brutale sur le marché mondial et la concurrence ont entraîné un bouleversement profond des référents et des habitudes de comportements. L'ex-syndicat unique doit faire face à un triple challenge " le premier est celui de la crédibilité… le deuxième qui en découle est celui du renouvellement de ses cadres… [et] le troisième est sa capacité technique à répondre à des problèmes inédits en Algérie.70 " De plus l'Union de la Wilaya de Tiaret, avec à sa tête une équipe renouvelée, doit travailler dans un contexte difficile. Ses ressources financières ont été limitées pour une grande part à ses adhésions, qui elles-mêmes ont chuté énormément. Elle a du faire face durant ces années (1991-1997) à la pression des groupes islamistes armés (" quelques 800 personnes ont été assassinées dans la Wilaya dont neuf syndicalistes71 ") et aux difficultés économiques grandissantes (34% de chômeurs dans la Wilaya). Elle a su cependant maintenir une activité syndicale et un réseau de relations avec les associations de Tiaret (Femmes - Chômeurs - Culture - Ecologie) la faisant apparaître comme un pôle de résistance. Les quelques 15 000 adhérents de l'UW-UGTA Tiaret sont ainsi confrontés à un manque de formation pour faire face à ces changements et leurs conséquences à court et moyen terme.

Le contingent de ces modules a été constitué par les militants syndicalistes algériens et transmis par le représentant d'Ayda à l'AEFTI 31. Ce projet s'étalait sur une durée de quatre ans et concernait trois cent vingt personnes. La formation durait 1 mois par trimestre et permettait de prendre en charge vingt personnes pour chaque session. Réalisée à Toulouse et encadrée par l'AEFTI, elle est assurée financièrement par la CGT de Haute-Garonne.

Composée d'un module général et de modules plus spécifiques, cette session a balayé des sujets élargis. Ainsi le module principal est composé de six thèmes généraux :

-Capital, travail et plus-values

-Privatisations et holdings

-L'organisation syndicale dans l'économie de marché

-Le pluralisme syndical

-Les restructurations industrielles, la compétitivité et la protection sociale

Des petits groupes de travail ont été constitués en fonction de l'origine professionnelle des algériens en formation présents lors de chaque session :

-Coopératives / Micro-entreprises

-La protection des salaires

-Le paritarisme, participation syndicale aux caisses de répartition

-Hygiène et sécurité (médecine du travail…)

-L'éducation et la formation continue

-Aperçu sur le système bancaire et les crédits

-Les moyens et les méthodes de communication

 

Ayda a joué le rôle d'interface lors de ce projet et n'a pas été partie prenante de la formation. Dans une optique différente du programme décrit précédemment, cette action a engendré la création et le renforcement des liens entre Toulouse et Tiaret. L'association Ayda est ainsi apparue comme un intermédiaire pouvant assurer des relations privilégiées de part l'investissement militant de ses adhérents en Algérie et des réseaux dans lesquels ils étaient investis. Ces actions de formations ont été aussi proposées à la CFDT de Midi-Pyrénées et aux syndicats Sud. La CFDT s'est déplacée à Tiaret afin de mettre en place un projet de formation spécifiquement réservé aux femmes syndicalistes mais Ayda n'a été à cette occasion que le contact entre Toulouse et Tiaret et n'a pas impulsé ces formations de la même manière.