III Des activités spécifiques

 

1) La revue ASMA

 Devant le silence et la difficulté à obtenir une tribune médiatique afin d'expliquer la situation algérienne dans son ensemble, des volontés au sein d'Ayda ont décidé de créer une revue bimestrielle dès le mois de juin 1995 : " Asma, pour la démocratie en Algérie ". Cette revue essentiellement rédigée par les Algérien(ne)s eux-mêmes, en exil ou en Algérie, a paru de juin 1995 à septembre 1996. Elle a connu six numéros.

 

 

Numéro 0 du journal ASMA (Archives Ayda 1995)

Le premier exemplaire (N° 0) se présente sous le format A4 (21/29,7 cm) et comporte 20 pages. Composée de plusieurs rubriques et d'illustrations photographiques et graphiques, elle est imprimée en noir et blanc sur un papier de qualité mat et sa mise en page reconnaissable est très agréable à la vue. Les 5 numéros suivants reprennent le même graphisme mais ont été réalisés sur un format A3 (29,7/42 cm). Cela permet d'étoffer le contenu et d'y insérer de nouvelles rubriques et de nombreuses illustrations. Cependant, les numéros ont une pagination variable. Le numéro 1 comporte 14 pages, le numéro 2 - 12 pages, le numéro 3 - 14 pages, le numéro 4 - 12 pages et le dernier le numéro 5 - 8 pages.

La construction en rubrique du journal, établie lors de la réunion du dimanche 2 septembre 199551 , a été fixée de manière précise afin de " donner au lecteur des repères52 " . Le journal est articulé autour d'un ou deux dossiers centraux. Il est divisé en deux parties, avec en amont, les nouvelles d'Algérie et en aval, l'actualité en France et en Europe autour de l'Algérie, avec une rubrique réservée à l'actualité d'Ayda. La première page est consacrée au sommaire, à la présentation du numéro et introduit l'accroche sur les dossiers principaux. La partie " Algérie " est divisée en trois rubriques permettant un survol de l'actualité. Une revue de presse argumentée (presse algérienne, française, courrier international…) sert de support au décryptage des principaux évènements des deux mois écoulés en Algérie. Elle est suivie d'un billet d'humeur. La rubrique " Paroles algériennes " est composée d'articles, de lettres, portraits ou reportages souvent envoyés d'Algérie et elle recueille des informations sur le mouvement social, les syndicats et les associations. Cette première partie se conclut par la présentation d'une ou de plusieurs associations algériennes qui travaillent ou non avec Ayda.

Le dossier est constitué d'une partie centrale explicative et très informative, de manière à ensuite ouvrir le débat en exposant les positions quelques fois plurielles, du camp démocratique et celles de ses adversaires. Il développe alors les interrogations et les enjeux de la question traitée et peuvent s'y joindre des témoignages. La dernière partie s'articule autour de trois rubriques. Elle offre une tribune et se fait l'écho du travail d'associations " amies " s'occupant de l'accueil des réfugiés algériens en France ou en Europe. Quelques pages sont consacrées à la culture algérienne et maghrébine à travers des notes de lectures, des comptes rendus de livres ou d'activités culturelles réalisées à Toulouse ou dans la région. Ayda présente dans cette partie, ses activités de solidarité, quelques annonces et parfois quelques conseils pratiques et des demandes d'urgences. Cette construction du journal a été maintenue jusqu'à la dernière parution.

La manchette de la revue reprend le " slogan " d'Ayda dans les trois langues de l'Algérie d'aujourd'hui : l'arabe, le berbère et le français. " Algérie, Démocratie, Solidarité " peut résumer en trois mots l'esprit qui transparaît dans cette revue. Une tribune, un pont entre les deux rives de la Méditerranée afin d'exprimer les inquiétudes, les joies, les peurs mais surtout l'espoir, l'immense espoir et le soutien aux forces démocratiques qui se battent dans ce pays.

Mais pourquoi avoir choisi ce nom " Asma " ?

Asma est un mot de l'arabe dialectal algérien qui signifie " Ecoute, Ecoute !!! ". Dans un éditorial du numéro de mars 1996 (n°3), la rédaction explique ce choix original. " Asma est un mot de la langue parlée et apparaît comme un acte de résistance aux tentatives de bâillonnement de la parole. C'est un mot lancé à travers les espaces de communication afin d'écouter " la parole des vivants53 " . Ce mot apparaît comme un cri vital, une attente espérée en faveur de la démocratie en Algérie. Mais cette interpellation du lecteur peut se transformer en lieu d'écoute et de débat, afin de rompre l'isolement des exilés et des Algériens par la parole. Cette revue est apparue comme un outil d'information et de réflexion sur l'Algérie. Créée dans l'urgence, pour d'offrir un espace de communication à ces " paroles plurielles, d'exil ou d'Algérie54 " , Asma s'est construite comme " un espace d'information, de pensée, de controverse, de témoignage, comme un lien entre toutes celles et tous ceux qui, sur les deux rives de la Méditerranée, se battent pour une Algérie démocratique et sociale55 " . Dans un trac de l'été 1995, Asma est présentée comme " la prolongation directe du travail d'accueil conformément à sa plate-forme56 ".

Composée d'un comité de rédaction issu d'Ayda, la revue est ouverte à toutes celles et tous ceux qui ont fait leur, le combat pour une Algérie démocratique. L'équipe responsable de journal est composée d'adhérents d'Ayda : Liliane Bourgeois (journaliste) directrice de publication, Mohamed Bahrour (journaliste algérien réfugié), Abdelmadjid Kaouah (poète algérien réfugié), " Charlie ", Georges Rivière (graphiste) responsable de la maquette et réalisation, Julien Roumette et Anne. Ce comité est chargé lors de réunions de préparation, d'élaborer le sommaire du journal et de la proposer aux militant(e)s d'Ayda. Ces derniers sont ainsi impliqués dans la rédaction de la revue. Mais il est précisé dans l'ours de chaque numéro que " les articles, sauf indication, sont sous la responsabilité de leurs auteurs et ne sauraient engager politiquement l'association ". Asma apparaissait ainsi autonome d'Ayda, tout en impliquant les mêmes individus. On y retrouve cependant, pour une grande part, les thèses défendues par l'association Ayda. Le comité de rédaction a reçu la collaboration de nombreuses personnes dans l'écriture des articles et le signalait à chaque numéro dans l'ours de la revue. On peut ainsi noter la participation d'illustrateur, tels que le peintre Pierre Rouault, par ailleurs membre d'Ayda, ou d'universitaires comme Djamila Amrane, dans le n°3 de mars 1996, pour un article intitulé " l'écartèlement ", pages 3-4, sur la situation des femmes en Algérie.

Au-delà du thème commun de ces six numéros, chaque exemplaire aborde des questions d'actualité et des réflexions étendues sur les débats qui traversent la société algérienne. Le premier numéro expose un dossier sur l'Algérie et la démocratie, en expliquant la position des démocrates sur l'accord de Rome et l'acharnement médiatique que subissent les militants opposés au pacte de Sant Egidio par les " Pros accord avec le FIS ". Mais l'article le plus enrichissant est certainement l'interview de Rachid Boudjedra (écrivain algérien connu pour son engagement démocratique - auteur de FIS de la haine -), présent à Toulouse du 5 au 12 mai, à l'initiative de diverses organisations syndicales, culturelles, et de solidarité avec l'Algérie (Ayda, FOL, CGT, Ombres Blanches). Le numéro 1 du mois de novembre, en prise avec l'actualité, consacre son dossier à la présentation des candidats à l'élection présidentielle algérienne, tout en expliquant les enjeux et les espoirs suscités. Essayant d'être au plus prés de la réalité, les responsables d'Asma invitent le lecteur, dans le numéro 2, à une analyse sur les résultats de l'élection du premier personnage de l'état, en analysant les portraits des trois premiers candidats et de leurs orientations politiques. La double page, consacrée à la chronologie commentée des évènements de l'Algérie depuis 1988, permet au lecteur d'appréhender de manière plus compréhensible les tenants et aboutissant de cette guerre qui ne dit pas son nom. L'article sur les accords de Rome (page 9) apporte une analyse riche et judicieuse de la part de certains militants d'Ayda à propos de leur positionnement idéologique sur " l'imposture ? de Sant Egidio ".

La lutte des femmes, apparaît comme un combat incontournable mais médiatisé au cœur de la lutte pour la démocratie. Il était normal qu'Asma constitue un dossier autour de cette question capitale de l'Algérie moderne. Les six pages du numéro 3 d'Asma consacrées à l'émancipation des femmes, apportent un éclairage, tant sur le plan historique que sur le plan plus spécifiquement juridique, en détaillant les différents articles du code de la Famille promulgué en 1984.

Le dossier consacré à l'économie de l'Algérie court sur six pages du numéro 4 et essaye de décrypter les différentes orientations et leurs conséquences sur la vie de ce pays. Il met en lumière la complexité des relations entre les partenaires sociaux et les exigences du Fonds Monétaire International. L'histoire-mémoire est abordée dans le dernier numéro à travers le massacre du 17 octobre 1961 à Paris. Intitulé " le jour du grand massacre ", ce dossier rappelle à la communauté française un des épisodes les moins glorieux de son histoire et établit un parallèle non dénué de sens avec les journées de commémoration organisées par la coordination Grand Sud ce même 17 octobre 1996. Toujours au prise avec l'actualité, la double page consacrée à la révision constitutionnelle, ouvre des perspectives intéressantes pour essayer de comprendre les opinions en présence en Algérie.

L'existence d'Asma, cette tribune pour la démocratie a reçu le soutien des ouvriers des arts graphiques qui ont offert une prestation à prix coûtant " en forme de solidarité avec le combat des démocrates algériens57 " .

Ainsi le flashage (opération coûteuse) des six numéros a été assuré par l'entreprise Nuances du Sud et l'imprimerie Sacco a contribué à la parution du journal. Cependant le soutien le plus important fut l'association Ayda qui a assuré la logistique de l'aventure et en a été l'éditeur.58 Elle a pris en charge la mise de fond et apporté le soutien financier nécessaire à sa réalisation.

La diffusion de la revue a été réalisée de trois manières distinctes. Vendue au prix de soutien de 15 francs, on pouvait cependant se la procurer soit par commande directe auprès d'Ayda, soit par abonnement ou bien en vente à la librairie Ombres Blanches, à Toulouse, rue Gambetta. L'abonnement constituait la plus grande source de financement de la revue. Organisé en trois catégories, on pouvait choisir sa formule de soutien selon ses moyens financiers (l'envoie à domicile était réalisé franco de port) :

-l'abonnement lecteur : 90 francs

-l'abonnement soutien actif : 130 francs

-l'abonnement bienfaiteur : 200 francs

Carte établie par nos soins d'aprés les archives d'Ayda

En étudiant le fichier des abonnés, on constate une implantation géographique étendue avec 137 abonné(e)s réparti(e)s sur 27 départements. Comparé à la diffusion d'Ayda elle s'étend sur beaucoup plus de départements notamment au sein de la région PACA. Cela s'explique par les relations établies par Ayda au sein de la Coordination Grand Sud qui a permis une diffusion importante de la revue. Présente dans tout le sud de la France, Asma a connu un rayonnement important, du à la pertinence de son contenu et aux attentes qu'elle a satisfaites. De nombreuses associations59 comme SAFA, mais aussi Grenoble ont souscrit des abonnements et ont commandé des numéros en grand nombre afin d'assurer la diffusion, la circulation et une tribune élargie aux démocrates algériens. En se penchant sur les bilans financiers d'Ayda60 , Asma a connu quelques difficultés d'autofinancement au tout début. En effet, les frais engagés pour la réalisation de la revue ont occasionné des dépenses assez importantes sur le budget de l'association. A titre d'exemple, les trois premiers mois de l'existence d'Asma se sont traduits par des dépenses de l'ordre de 6224,64 francs alors que le total des abonnements pour l'année 1995 (6 mois) ont permit de recueillir la somme de 6395 francs61. Cependant la diffusion de la revue tirée à 1500 exemplaires62 se faisait aussi beaucoup, lors des stands tenus par Ayda, au cours des manifestations, mais également lors des tractages, place Saint Sernin, à Toulouse, le dimanche matin. Lors des réunions de l'Assemblée des militants, toutes les semaines, un certain nombre de personnes étaient volontaires pour aller vendre des numéros d'Asma sur les marchés63 . Les équipes étaient composées de huit à dix personnes64. On retrouve d'autres lieux de vente et notamment l'Université de Toulouse -le- Mirail qui permettait de sensibiliser le milieu étudiant aux difficultés que connaissaient les démocrates en exil. Par exemple lors de la semaine du 5 au 9 février 1995 une table a été tenue pour assurer la vente d'Asma de 12 heures à 14 heures et a permis pour la seule journée du lundi 5 février, d'écouler une cinquantaine de numéros. D'autres possibilités ont été exploitées, avec la vente par le bouche à oreilles, lors de manifestations sur la voie publique ou encore le dépôt de numéros au cinéma Utopia, au CIDES (1 rue Joutx-Aigues à Toulouse) ou encore à la librairie Ombres Blanches (rue Gambetta à Toulouse).

 

Cette aventure de quinze mois a pris fin en septembre 1996, en ayant offert une expérience constructive et enrichissante pour les exilés algériens. Elle fut poursuivie d'une manière un peu différente avec la revue POUR ! à laquelle Ayda a cédé le fichier de ses abonnés. Elle a tenu à en avertir ses adhérents par une lettre expliquant le choix de POUR ! et les informant du transfert des sommes versées vers la trésorerie de la nouvelle revue. Cette interruption définitive est due selon certains membres du comité de rédaction65, au manque de temps, mais aussi à la difficulté accrue de recevoir et d'échanger des informations et des textes avec l'Algérie. Cependant malgré sa courte existence, Asma a permis de lancer une dynamique de soutien, de faire connaître par le biais de la revue, l'association Ayda et le mouvement de solidarité en faveur de l'Algérie. Sa diffusion éclectique auprès de plusieurs associations et dans de nombreux départements (jusqu'en Nouvelle Calédonie) a ainsi contribué à offrir une fenêtre d'espoir et une tranche de parole qui a peut-être permis d'apporter une reconnaissance nécessaire à ces exilé(e)s Algérien(ne)s.