II Les moyens mis en œuvre

 

1) Le fonctionnement interne

 Cette association loi 1901 a connu dés le départ une spécificité de fonctionnement qui a été définitivement rejetée lors du changement d'orientation de l'Assemblée Générale du mois de septembre 1994. Elle a ensuite essayé de bâtir son activité autour du principe clair de l'apprentissage de la démocratie qui s'est avéré parfois difficile. A travers le développement suivant nous essayerons de présenter ce fonctionnement et les difficultés qu'il a engendré.

 

a) Le bureau et le fonctionnement interne

La nature même et la spécificité des actions engagées ont conditionné, dés le départ, un fonctionnement propre à l'association. L'accueil des réfugiés algériens, dans un climat de tension du à la présence de courants intégristes en France, a amené à prendre de nombreuses précautions. Cette prise en compte réelle des risques encourus a cependant servi à justifier, selon le point de vue de plusieurs membres d'Ayda, un fonctionnement très spécial. En effet, dès les premiers temps, il y a eu deux conceptions opposées de développement de l'association entraînant de vifs débats. Lors de la réunion du mardi 10 mai 1994, la question est posée de manière claire à l'ordre du jour : " l'adhésion /cooptation19". Cette discussion animée, au-delà de la nature même de la question de l'adhésion, fonde les enjeux de deux principes distincts de fonctionnement associatif. Fallait-il une association ouverte où l'adhésion est libre ou bien fallait-il une association fermée permettant un contrôle de ses membres. La cooptation des membres actifs (les adhérents, car les autres étaient considérés comme des membres de soutien) devait être réalisée dans le cadre du bureau. La personne souhaitant adhérer devait être introduite au sein de l'association par deux ou trois membres actifs qui s'en portaient garants. Ce système ne laissait pas la place à une ouverture plus large de l'association et à la possibilité de recevoir des aides diversifiées et nécessaires. Ce mode de fonctionnement a perduré jusqu'au mois de septembre 1994. Dans une lettre manuscrite de Georges Rivière datée du 31 mai 1994, adressée aux fondatrices d'Ayda, il conclut ainsi : " [cette lettre] finira par l'expression d'une tendresse profonde, active à vos côtés*, complice autant qu'il est possible, et par mille mercis pour tout ce que vous faites ". L'étoile renvoyait à une note de bas de page très significative sur la nature des adhésions : "* si le bureau, statuant lors de chacune de ses réunions, agrée ma demande d'admission ". La vision qu'en propose Geneviève Azam lors d'un entretien, recoupe celle de plusieurs autres membres : " Au départ il y a eu un grand débat entre une association ouverte et une association fermée. L'association fermée c'était pour des histoires de risques, mais aussi de contrôle. Le risque servait à justifier le contrôle ; parce qu'il y avait un vieux réflexe qu'on peut comprendre, ils avaient peur que des Français s'approprient ce but et que, vu le passé et la colonisation, on reproduise un nouveau colonialisme. C'était à peu près ça. Ils suspectaient les Français, certains, pas tous, de vouloir utiliser la cause algérienne pour d'autres finalités. Très vite, ça a été un sujet de conflit. Et on a décidé qu'on était une association ouverte avec des adhésions comme toute association loi 1901.20 " C'est ainsi que la volonté d'établir un fonctionnement démocratique, en prenant cependant en compte les risques et les questions sécuritaires, capitales dans l'organisation, a surpassé tous les autres points de vue. Les militants ont choisi une association ouverte, sans cooptation et sans contrôle de la part d'Ayda Paris. Ils ont souhaité garder leur liberté d'initiative et d'action et établir les lignes directrices au sein même de l'association par ses adhérents.

La structure d'Ayda était constituée d'un bureau élu par l'Assemblée Générale des adhérents qui se réunissait environ une fois par an comme cela était prévu dans les statuts. Ce bureau est composé d'un(e) Président(e), deux Vice-président(e)s, un(e) Secrétaire général(e), un(e) secrétaire général(e) adjoint(e) et un(e) trésorier(e). Cette représentation officielle, enregistrée en préfecture, n'avait aucun pouvoir décisionnel. Composé de l'équipe militante, il n'avait pas de réelle fonction au sein d'Ayda. En effet, les décisions étaient prises en Assemblée Générale des membres actifs (ou encore appelée Assemblée Générale des militants) qui se tenait toutes les semaines au local. Durant les premières années le rythme hebdomadaire a été instauré de part la multiplicité et la densité des questions à traiter, puis, elles se sont espacées tous les quinze jours jusqu'à se tenir irrégulièrement depuis peu. C'est au cours de ces réunions qu'étaient décidées et débattues l'orientation et les actions d'Ayda. Tout adhérent d'Ayda y était invité, mais elle consistait pour la plupart du temps à réunir les mêmes personnes 21. Les thèmes abordés étaient le compte-rendu de la permanence, les activités autour d'Asma et de sa diffusion, les manifestations du moment et régulièrement, un débat de fond sur des sujets politiques tels que la place des femmes et leurs combats dans la société algérienne22 . Ces réunions permettaient aussi de faire le point sur la semaine écoulée et les initiatives à entreprendre pour les semaines et les mois suivants. Cette manière de fonctionner même si elle entraînait parfois des difficultés dans l'organisation a permis " un échange entre Français et Algériens 23". Geneviève Azam explique cet apprentissage du fonctionnement démocratique : " …Le fonctionnement, c'était un gros débat, parce que les Algériens qui étaient là, - comment dire - pour beaucoup étaient passés par le PAGS. Certains étaient partis, d'autres étaient restés jusqu'à la fin, il y avait des débats entre eux et ils avaient une conception de l'association qui n'étaient pas démocratique (pas tous) et il y avait des problèmes de ce point de vue là parce que les associations en Algérie étaient souvent - pas maintenant - très dirigées par un président ou une présidente qui prenait toutes les décisions. Ainsi, au départ le principe démocratique a été difficile à mettre en place. "

La cohésion de cette petite équipe, sur qui reposait l'action d'Ayda a eu comme conséquence indirecte de rendre l'intégration au sein de l'association plus difficile pour les nouveaux arrivants. C'est ainsi que certaines personnes ont éprouvé quelque peine à " se faire une place 24 " dans ce noyau très actif. Les débats sur le mode de fonctionnement interne ont jalonné ces cinq ans d'activités. On retrouve une lettre datée du 31 mai 1994 de Georges Rivière proposant un mode de participation sur quatre niveaux. Le schéma qu'il en a tracé est clair et compréhensif. On retrouve au premier niveau les adhérents qui peuvent s'engager au sein de commissions. Ces différentes commissions élisent un représentant qui ferait parti d'une assemblée de délégués. Celle-ci est conçue comme un lieu d'information et de transmissions des projets discutés en commission. Le bureau, composé " de personnes notoirement connues des milieux algériens comme étant des interlocuteurs de confiance 25", doit jouer un rôle d'interface. Il est l'organe décisionnel de l'association et accueille en son sein les Algérien(ne)s qui ont souhaité rester anonymes et les délégués. Il insiste dans sa conclusion sur " la responsabilité du bureau : honnêteté politique scrupuleuse, respect des membres, d'autant plus que ceux-ci se délaissent d'une parcelle de leurs prérogatives de contrôle, dire tout ce qui peut être dit et ne taire que ce qui doit être tu, faire circuler l'information, ne laisser à personne, par négligence, penser qu'il est manipulé et toujours considérer que les membres d'Ayda n'ont pas tous, comme on dit, la même sensibilité politique 26". Ces questionnements apparaissent dans le compte rendu de l'Assemblée Générale des adhérents de 1995 dans une grande partie intitulée : C) fonctionnement. On y apprend que la multiplicité des activités entraîne des difficultés de fonctionnement. " Devant… la surcharge, l'association a décidé d'aider les réfugiés algériens en leur demandant une contribution au fonctionnement de l'association. C'est la subvention de 50 000 francs du Conseil Général qui est affectée à cette aide. La permanence est donc tenue par deux personnes, sur la base de 20 heures par semaine, une personne étant fixe, l'autre tournante, afin d'assurer à la fois la continuité et le partage équitable de l'aide. " Le problème du fonctionnement apparaît à d'autres périodes d'Ayda, notamment au moment des départs de certains de ses membres. Mais on ne trouve pas de traces de remise en cause par la direction de ce modèle établi en 1994.

Les permanences au local d'Ayda ont été effectuées toutes les semaines à hauteur de 2 heures par jour et par personne de 13 heures à 17 heures. Elles étaient divisées en deux tranches horaires de 13 heures à 15 heures et de 15 heures à 17 heures. Les responsables étaient désignés par Ayda et observaient des tournantes de manière à permettre à plusieurs exilés d'effectuer une activité salariée. En octobre et novembre 1999, Ayda a fait bénéficier un Algérien exilé d'un contrat à durée déterminée afin d'assurer un travail de permanence.

 

b) Les différents comités

La constitution de ces comités a été difficile, car leur nombre a été fluctuant et leurs attributions souvent multiples. A la création en avril 1994, il avait été décidé de créer plusieurs comités avec un responsable à leur tête : comités accueil - presse, info - culture - logement. Il est fait mention d'autres comités sans les nommer précisément dans le compte rendu de la réunion du 10 mai 1994. " Intervention de Geneviève : les comités, mis à part les comités accueil - presse, info - culture - logement, ont été créés de manière bureaucratique. Ils n'ont pas d'existence réelle. " Lors de l'Assemblée Générale annuelle du 17 septembre 1994, les attributions de chaque comité sont bien mieux définies : " Pour traiter les problèmes techniques liés à l'accueil des Algériens et à l'expression de l'association, ont été créées des commissions avec un responsable : Commissions logement, précarité - Emploi - presse - Préfectures, problèmes juridiques - subventions, aides. Il suffit de téléphoner à la permanence pour être en contact avec les responsables de ces commissions ". Cependant leur fonctionnement quotidien n'a pas été très bien géré, car un an plus tard il est fait mention dans le compte-rendu de l'Assemblée Générale des adhérents du 18 octobre 1995 de la disparition de certains d'entre eux. On n'en retrouve plus que trois " Il existe des commissions permanentes : logement, emploi, préfecture. Par ailleurs un comité de rédaction pour le journal [Asma] a été élu. D'autres commissions se constituent ponctuellement autour de projets précis. " La raison d'être de ces commissions était de permettre une meilleure efficacité dans le travail à accomplir et d'éviter la dispersion néfaste à toute initiative.

Le comité préfecture ou bien encore appelé problèmes juridiques était chargé de s'occuper de toutes les démarches auprès du service des étrangers de la préfecture de Haute-Garonne, d'apporter les réponses nécessaires aux questions juridiques posées par l'imbroglio des situations des exilés. Michel Didier en a été le responsable. Ce comité a fonctionné de manière continue, alimenté par l'évolution constante du statut juridique des Algériens et les difficultés rencontrées pour l'obtention ou le renouvellement d'autorisations de séjours sur le territoire français.

Le comité logement supervisé par Marie Didier a du déployer une forte énergie afin de trouver des solutions à ce problème capital. Il a fonctionné de manière régulière et a entrepris de nombreuses démarches auprès de multiples institutions et associations. Il était constitué par les militants qui souhaitaient s'investir sur cette question. Les réunions se tenaient à l'initiative de la responsable mais le plus souvent les questions étaient discutées en Assemblée Générale des militants selon l'ordre du jour prévu.

Le comité culture avait établi une liste de contact permettant d'organiser des manifestations (projection, conférences…) culturelles telles que les hommages aux personnalités assassinées. Il a par exemple pris en charge l'organisation de la soirée au théâtre Garonne en faveur d'Abdelkader Alloula et d'Ahmed et Rabah Asselah le 27 mai 1994. Il a pu proposer des idées de films et d'émissions télé lors de débats ou conférences. Cependant, très vite, son action s'est confondue avec les activités des réunions hebdomadaires de travail de l'association et son fonctionnement est devenu beaucoup plus superficiel.

Le comité de rédaction d'Asma (élu par les adhérents) a, quant à lui, organisé des réunions périodiques afin de permettre le fonctionnement de la revue. Il se réunissait une fois par semaine et a été très actif pendant toute la période de parution d'Asma27.

Les actions menées par ces comités ont été inscrites dans la cohérence générale des activités de l'association ; ils n'ont pas fonctionné indépendamment d'Ayda. Ils ont joué un rôle de préparation et ont permis une démultiplication des tâches. Mais le témoignage des membres de l'association met en lumière la difficulté de maintenir une action continue au sein de ces commissions, car chacun s'investissait dans plusieurs tâches à la fois et tout se décidait en Assemblée Générale.

 

c) Les relations avec les adhérents 

Le nombre d'adhérents d'Ayda a fluctué au cours des quatre premières années entre 200 et 300. Les liens entre le bureau et ses adhérents n'ont pas été très exploités. De l'aveu même de la présidente Geneviève Azam, " cela a constitué le principal point faible d'Ayda ." En effet, on constate au contact des archives, le peu de relation qu'a entretenu l'équipe dirigeante avec le reste des membres de l'association. Quelques lettres irrégulières d'information ont été envoyées notamment en 1995 où une " lettre de Ayda-Toulouse " avait été instituée par l'Assemblée Générale du 18 octobre 1995 à la demande des adhérents. Ces deux lettres de liaisons28 présentent le nouveau bureau élu et les activités à venir au cours du mois suivant. Elles proposaient un bilan mensuel des actions d'Ayda. Ce manque de lien a été discuté lors de cette Assemblée Générale car le compte rendu en fait état : " Le lien a été insuffisant avec les adhérents ". L'implication de ces membres de soutien n'a pas été prise en considération souvent du fait de l'effervescence et du travail à accomplir dans l'urgence. Des lettres d'informations succinctes ont cependant été envoyées afin de tenir informés l'ensemble de l'association. Ainsi la lettre du 13 mars 1998 présente les activités futures d'Ayda et invite le lecteur a participer au festival du Chaînon Manquant, à Cahors. Le suivi des réadhésions n'a certainement pas été très poussé à la lecture du fichier des adhérents qui est succinctement tenu. Ce manque d'attention a été pour une part la conséquence d'un désintérêt de la part de plusieurs personnes. Cependant on constate que la question du renouvellement de l'adhésion est introduite dans les courriers d'invitation aux Assemblées Générales : " Compte tenu de l'importance de ces objectifs, nous comptons sur votre précieux soutien pour les concrétiser en commun, en souhaitant vivement votre réadhésion à Ayda. " " Nous attirons votre attention sur l'urgence du renouvellement de votre adhésion dans le cas ou elle n'a pas été déjà effectuée. "

La sollicitation de ce potentiel militant n'était entreprise que lors des Assemblées Générales annuelles des adhérents et lors de besoins urgents dus à l'arrivée d'exilés. Dans une lettre d'invitation à l'Assemblée Générale du 13 novembre 1997, on constate la rareté des contacts entre le bureau et les membres d'Ayda malgré la volonté de ces derniers, exprimée lors des années précédentes29 : " Une année s'est écoulée depuis notre dernière rencontre au cours de laquelle notre association a développé de multiples actions de solidarité, d'information et de débats autour du drame algérien ".

Carte représentant le nombre d'adhérents d'Ayda par département au cours des années 1995-1999

Carte établie par nos soins d'aprés les archives d'Ayda

Même si ces adhérents ne sont pas associés aux activités quotidiennes d'Ayda, ils sont pris en considération de part l'attention que l'équipe militante porte à leurs actes de solidarité, dons et soutiens financiers. " Ces actions de solidarité concrète avec les démocrates algériens en exil et au pays ont été réalisées grâce à vos contributions politiques et matérielles . " On note dans une autre lettre adressée aux membres d'Ayda une demande d'aide rapide intitulée " A vos casseroles……. " faisant la liste d'objets et meubles nécessaires à l'installation d'une famille d'exilés.

Lors de manifestations, de meetings, conférences… il arrivait que les adhérents ne soient pas informés. Certains ont écrit à Ayda afin de se tenir avertis de ces actions.

Ces liens distendus ont cependant permis de faire vivre l'association par la générosité et la compréhension de ses adhérents.