2) La création

 

a) La création et son organisation

Le contexte d'urgence créé par la venue de démocrates algériens à Toulouse a précipité la mise en place de cette structure, afin de pouvoir les accueillir dans les meilleures conditions possibles. En effet, les démarches juridiques, administratives et alimentaires ont été beaucoup plus faciles à entreprendre au nom d'une association qu'à titre individuel.

La création officielle d'Ayda s'est effectuée le 19 avril 1994, par la demande d'insertion au journal officiel, signée par Geneviève Azam et le 25 avril 1994 par le dépôt de la déclaration à la préfecture de Haute-Garonne sous le numéro de dossier 23379. Elle est dénommée " Ayda-Toulouse ". Elle a pour but déclaré : " apporter un soutien moral et matériel aux victimes du terrorisme et entreprendre des initiatives susceptibles de rendre visible en France le patrimoine artistique, scientifique et intellectuel algérien. "15 L'Assemblée Générale constitutive s'est tenue le 14 avril 1994 à 12h30 dans la salle 622 de l'UFR (Unité de Formation et de Recherche ) de sociologie à l'université Toulouse - le - Mirail. Un article de la Dépêche du Midi en fait état sous le titre " Réseau : Ayda l'amie algérienne ". Cette réunion est apparue comme une officialisation de cette association qui avait débuté formellement en mars. Le premier bureau était constitué d'enseignantes de l'université :

- Présidente : Geneviève Azam professeur d'économie de nationalité française domiciliée à Toulouse.

- Vice présidente : Zaïda Radja Mathieu sociologue, de nationalité canadienne domiciliée à Toulouse.

- Secrétaire Générale : Yamina Ben-Ramdani enseignante de nationalité algérienne domiciliée à Toulouse.

- Trésorière : Catherine Delcroix sociologue de nationalité belge domiciliée à Sèvres.

Le siège social est fixé 7 rue Cujas au domicile de la Présidente. L'association s'est créée au départ sur les bases de l'association Ayda de Paris qui avait cependant garanti l'entière liberté d'action du réseau toulousain. Mais le changement de qualificatif sur les tracts et les apparitions officielles de " réseau " en " association " est significatif des divergences de conceptions entre les deux organisations. La plate forme d'Ayda Paris dont s'est inspirée Ayda Toulouse fait apparaître une différence essentielle dans le fonctionnement et l'idéologie qui ont concouru à leurs structurations. En effet on voit apparaître sur la plaquette les objectifs de cette association : " Des intellectuels Démocrates Algériens (journalistes, artistes, universitaires) se sont réunis le 25 novembre et ont décidé de créer une association d'action culturelle et de solidarité. " Cette non-mixité de départ a entraîné des difficultés d'appréciation et de compréhension qui n'ont pas permis un développement important. Geneviève Azam explique cette divergence profonde par la particularité des fondateurs d'Ayda Paris et leurs origines politiques : " Ayda Paris était sur de positions très sectaires. Alors nous, ce à quoi on a tenu tout de suite - c'est pour ça que ça a claqué avec Zaïda - c'est que l'association soit la plus ouverte possible. Ils voulaient tout contrôler en gros. Le moindre truc qu'on écrivait, une virgule, on se faisait contrôler et donc nous ce qu'on a voulu créer c'était une association ou il y aurait eu des Français et des Algériens, pas que des Algériens entre eux. A Paris, il n'y avait que des Algériens à Ayda donc ils se sont disputés entre tendances politiques… Alors comme ils ont gardé une structure strictement algérienne, très liée au PCF et à la CGT quand même malgré tout ; ils sont restés sur de vieux schémas associatifs et ils ont cru que le PC et la CGT étaient une force très importante qui allait les épauler. Ils n'ont pas vu à quel point le PC avait perdu… Nous, comme on a fait une association Français et Algériens on a bénéficié de tout le potentiel associatif qu'il y avait sur Toulouse.16 " Georges Rivière corrobore aussi cette idée de contrôle de la part d'Ayda Paris. Il ajoute qu'au tout début l'existence de cette association parisienne n'était pas connue des toulousains et qu'ils se sont trouvés devant le fait accompli quand ils en ont découvert la réalité. " Bon parce qu'il y avait des ambiguïtés dans le nom lui-même qui avait été quand même une petite magouille faut dire les choses Il y avait déjà une association Ayda à Paris et on ne le savait pas . "17 Cette question délicate s'est réglée par la volonté forte d'autonomie d'Ayda Toulouse et de ses militants.

 

b) Les bases juridiques

Comme la grande majorité des associations françaises, Ayda s'est inscrite dans le cadre juridique dit "Association loi 1901 ", . Créée lors d'une assemblée générale constitutive à l'Université Toulouse-le-Mirail, ses membres fondateurs ont élaboré des statuts se conformant aux directives de la loi. La loi du 1er juillet 1901 et son décret d'application daté du 16 juillet - un des piliers de la démocratie - fonde le statut de beaucoup d'associations en France. Les trois premiers articles définissent explicitement les conditions nécessaires et suffisantes pour fonder une association " loi 1901 ". Cette dernière apparaît en fait comme un contrat dès l'instant ou au moins deux personnes physiques ou morales sont d'accord pour s'associer et réaliser un objectif commun.

Les membres doivent avoir un but licite, à caractère permanent et à but non lucratif. Les statuts comportent plusieurs articles qui définissent la nature et le fonctionnement d'Ayda :

- le nom de l'association

- l'adresse du siège social

- l'objet de l'association

- la durée de l'association

- l'état civil des membres fondateurs

- les moyens d'actions (les activités)

- la composition de l'association (les différentes catégories de membres, les conditions d'admission et d'exclusion)

- les organes de direction et leurs pouvoirs respectifs

- les modalités d'élection et la durée des mandats

- les modalités de modification des statuts et de dissolution volontaire

Ils constituent les règles d'organisation de l'association, la loi qui lie les membres entre eux et détermine les droits et les obligations de chacun. En cas de litige entre les membres ou avec des tiers, le tribunal saisi s'appuie sur ces statuts.

Dans les différents types juridiques d'association, Ayda est une association déclarée. Cela signifie qu'elle acquiert la qualité de personne morale lui permettant d'agir comme une personne physique bien qu'elle n'en soit pas une. De ce fait, elle a la possibilité d'ouvrir un compte en banque, percevoir des cotisations et des subventions, acheter, vendre, louer, agir en justice, embaucher du personnel salarié ou exercer une activité commerciale. Elle peut évoluer vers une association reconnue d'utilité publique, titre et reconnaissance accordés par décret en Conseil d'Etat.

 

c) La mise en place et la diffusion

La création et les démarches juridiques ont laissé place immédiatement à l'action. Afin de pouvoir réaliser les objectifs fixés et de mettre en place un accueil des démocrates algériens, Ayda a du se doter de moyens suffisants pour assurer son fonctionnement. L'ouverture d'un compte chèque s'est effectué rapidement. Cette démarche a donné la possibilité à Ayda d'encaisser les dons et les adhésions sur un compte bancaire afin de pouvoir utiliser l'argent nécessaire à l'aide aux réfugiés. Sur ses tracts, elle donnait ses coordonnées bancaires où on pouvait adresser les dons. En raison des risques encourus face aux islamistes par l'association et les membres qu'elle accueillait, Ayda a demandé la création d'une boîte postale afin de ne pas faire apparaître son adresse. Cette précaution indispensable a ainsi protégé l'organisation d'éventuels désagréments. La question du local a été prise en charge par la sénatrice de Haute-Garonne, Marise Bergé-Lavigne qui a mis gracieusement à la disposition d'Ayda, un bureau de sa permanence, au 195 avenue de Muret. Geneviève Azam avait entrepris des démarches auprès de cette femme politique qui s'est engagée discrètement en faveur des réfugiés algériens .18

Afin de faire connaître son action et de permettre une large diffusion de ses idées, Ayda a réalisé une plate-forme augmentée d'un bulletin d'adhésion. Les premières ébauches de cette plaquette s'inscrivent dans " le Réseau Ayda " mais celles qui ont suivi n'ont plus repris le terme de réseau. Le titre général adopte un ton grave et appelle à la mobilisation immédiate : " Devant la situation dramatique que vit l'Algérie aujourd'hui… une urgence s'impose : organiser une solidarité internationale." Elle présente ensuite les objectifs de l'association et insiste sur la mixité de celle-ci :

- " Apporter soutien moral et matériel à toutes celles et tous ceux qui sont menacé(e)s par le terrorisme intégriste ainsi qu'aux familles des victimes.

- Lutter contre la désinformation tout en mobilisant l'opinion publique quant aux menaces effectuées envers celles et ceux qui luttent pour la démocratie et l'exercice des Droits et Libertés de la personne en Algérie.

- Agir auprès des pouvoirs publics français et européens pour rendre plus facile l'accueil des algérien(ne)s menacé(e)s par le terrorisme intégriste.

- Entreprendre des initiatives susceptibles de rendre visible en France le patrimoine artistique, scientifique et intellectuel algérien. "

La volonté de pluralité de cette association se remarque aussi dans le choix des sous titres qui ont étés retranscrits dans les trois langues parlées en Algérie : l'arabe, le berbère et le français. La première ébauche de la plate forme n'utilisait pas le texte de Tahar Djaout. Un fax en date du 12 avril 1994 nous apprend que l'idée première avait été de mettre un texte en arabe et en Français de Naim Boutanos : " l'homme est l'ennemi de ce qu'il ignore : enseigne une langue tu éviteras l'absurdité d'une guerre, Répands une culture, tu rendras un peuple auprès d'un autre populaire. " A la demande de Zaïda Radja Mathieu il a été remplacé par la phrase de l'écrivain assassiné Tahar Djaout : " Le silence, c'est la mort. Et toi, si tu te tais tu meurs. Et si tu parles, tu meurs. Alors dis et meurs. "

Le travail entrepris pour faire connaître Ayda et ses activités est passé par l'envoi de fax à tous les organes de presse (presse écrite, radio, télévision) afin de les informer et de les inviter au cours des réunions et des initiatives de l'association. Elle a effectué le même travail de renseignement en direction des associations régionales susceptibles d'être intéressées par l'action d'Ayda.

Elle a, d'une manière un peu plus officielle, fait parvenir la documentation nécessaire aux institutions et partis politiques et syndicats toulousains.

Cette aventure humaine a nécessité une présence constante et presque quotidienne à la permanence, au 195 avenue de Muret dès les débuts. L'accueil et l'organisation de l'aide matérielle, les préparations de manifestations et des activités multiformes d'Ayda ont suscité un engagement et une disponibilité considérables de la part des membres de l'association. Cet investissement généreux a entraîné la création ou le renforcement de relations humaines qui perdurent aujourd'hui. L'inexpérience de ces activités d'accueil et des démarches à entreprendre a contraint ces militants à entreprendre des formations personnelles et à s'informer auprès des associations expérimentées, notamment dans le domaine juridique.

Le foisonnement des activités morales et matérielles a engendré le brassage et la multiplicité des échanges d'idées. Les réunions hebdomadaires étaient l'occasion de discuter, des problèmes que rencontrait tel ou tel participant. La diversité des points de vues a permis d'élaborer une ligne de conduite politique dans le respect des sensibilités de chacun.

Ayda a su conquérir dés le début de ses activités une place essentielle de référence au niveau régional. Elle a su, grâce à l'identification à une idée claire dans ses partenariats, se dégager de l'étiquette de relais de l'ex PAGS qu'avait pu avoir son "parrain" de Paris.