2) Une émigration bien particulière 

L'immigration algérienne en France débute il y a plus de 90 ans avec, à l'orée de la Première Guerre mondiale, l'implantation à Paris ou Marseille de cette communauté de plusieurs milliers de travailleurs. Tout au long de ce XXème siècle, cette immigration économique pour la grande majorité s'est effectuée par vagues, selon les besoins en main d'œuvre et s'inscrivait après l'indépendance, dans le cadre d'accords bilatéraux entre les deux gouvernements.

Ce sont ainsi constituées dans de très nombreuses villes de l'hexagone, des communautés souvent " rassemblées en périphérie " et en bute aux préjugés et réactions de l'opinion. Mais cette immigration est enracinée dans le temps et entretient des relations économiquement forte avec son pays d'origine. Elle ne s'est pas avérée être un point d'appui très fort lors de la crise algérienne en ne s'investissant - comme nous l'avons relaté plus haut - que très légèrement dans le mouvement de solidarité et souvent à titre individuel.

L'exil politique est par définition une migration et la limite est parfois difficile à distinguer nettement entre une émigration " politique " dont relève l'exil et une émigration " économique " comme le souligne Geneviève Dreyfus-Armand dans son livre " l'exil des Républicains espagnols en France, de la guerre civile à la mort de Franco ". L'exil entre dans les différends flux migratoires, mais constitue un phénomène à part entière. Cependant, il présente des spécificités du fait notamment des conditions de départ et de retour. Geneviève Dreyfus-Armand dans cet ouvrage relève les réflexions de l'historien Emile Témime sur cette différenciation. La migration politique est marquée par une accentuation des caractères propres à toutes les migrations et est intimement liée à une conjoncture historique donnée. C'est ainsi que " l'immigré ordinaire25 " quitte son pays dans le but de s'établir plus ou moins durablement et dans l'intention d'y trouver un emploi. Quant à l'exilé ou le réfugié politique, terme que nous essayerons de définir plus bas, ils se trouvent contraints de fuir leur pays devant une situation qui ne leur permet plus d'y rester en sécurité. C'est ainsi le cas des Algériens démocrates qui ne peuvent revenir vivre au pays.

Geneviève Dreyfus-Armand poursuit son exposé en mettant en avant les conditions dissemblables entre l'immigré et l'exilé ou le réfugié : " Leur condition se distingue souvent aussi de celle de l'immigré par un engagement politique plus fréquent, une activité d'avantage tournée vers leurs pays d'origine et des formes de sociabilité spécifiques26 " . On peut appliquer cette grille de lecture aux algériens exilés, de part leur engagement important au sein d'Ayda et le réseau de relations qu'ils ont tissé sur le territoire. Mais l'exil engendre des questionnements considérables dans les relations, la place que l'on attache à son positionnement dans le corps social du pays d'accueil et du pays d'origine. Ne souhaitant pas être catalogués en tant qu'immigré, la plupart des Démocrates Algériens ne veulent pas s'inscrire dans les schémas traditionnels de l'immigration en France. De ce fait, ils se trouvent marginalisés par une partie de la société qui les tolère sur le territoire, mais ne leur permet pas d'apparaître juridiquement, en leur refusant un statut d'exilé (notamment l'asile territorial). Ils se trouvent ainsi au milieu de la traversé d'un pont sans pouvoir s'engager ni d'un côté (en s'inscrivant dans l'immigration algérienne en France ils gomment leur spécificité et le pourquoi de leur venue) ni de l'autre. Leur retour en Algérie serait, d'une certaine manière, ambigu du fait de la vision et du sentiment des Algérien (ne)s resté(e)s au pays, vécu et perçu avec beaucoup de ressentiments. Cette position a entraîné des frictions au sein d'Ayda et a influencé l'orientation de l'association.

Cependant la question de leur statut resté en suspend, exilé ou réfugié - dont découlent de nombreuses conséquences - n'est pas une simple forme de langage. L'exil est, de l'Antiquité à l'époque moderne une migration spécifique dépourvue très souvent de mesures juridiques. Ce n'est qu'au XXème siècle, que la notion d'exilé tend à se confondre avec celle de réfugié politique. Redonnons la parole à Geneviève Dreyfus-Armand qui apporte une explication dans son ouvrage : " le mot réfugié a été forgé pour désigner les protestants chassés de France au XVIIème siècle, mais jusqu'à la fin du XIXème siècle, les mots émigré et exilé ont plus volontiers été utilisés et ce n'est qu'ensuite que le mot réfugié l'a emporté sur les autres pour décrire des phénomènes de plus en plus massifs27 ". La notion de réfugié apparaît comme une notion juridique : c'est à dire que le réfugié, contrairement à l'exilé est celui qui est officiellement reconnu comme tel, par le pays d'accueil. Elle recouvre un espace plus large qui peut englober, dans les raisons de la fuite la guerre ou le pillage, (les réfugiés bosniaques ou kosovars en donnent un exemple précis). La notion d'exil quant à elle, comporte généralement une motivation politique. Cependant dans le cadre des démocrates Algériens, nous pouvons utiliser les deux termes d'une manière complémentaire. Un très petit nombre d'entre eux a obtenu le statut juridique de réfugié à l'instar de Dalila Meziane (avocate en exil à Lyon) alors que la grande majorité s'étant vue notifier un refus de la part des autorités françaises ne peut avoir dans le statut d'exilé, qu'une reconnaissance purement linguistique.

La nature et la cible des violences exercées depuis prés de 8 ans en Algérie, ont entraîné une émigration très particulière à bien des égards. En effet, la politique meurtrière des islamistes, a engendré le départ forcé de plusieurs catégories d'acteurs sociaux. Cette émigration s'est faite à titre individuel devant les menaces de mort ou les tentatives d'assassinat. Cet état de guerre larvée a amené plus de 400 000 Algériens28 à quitter leur pays. Cet exil provisoire, mais salvateur, est très disparate. De nombreux algériens, quand ils en ont eu la possibilité, ont pris des destinations plurielles en s'installant par exemple au Québec, en Belgique, en Allemagne, en Espagne, en Italie, en Australie, aux Etats-Unis et bien sûr en France. Cet exode massif, concernant bon nombre de personnes hautement qualifiées a désorganisé des secteurs entiers de l'activité économique et sociale, notamment dans les secteurs hospitaliers, universitaires ou administratifs. Il y aurait par exemple, en France prés de 7 000 médecins et 3 000 universitaires algériens29 . Cette émigration s'est faite progressivement, par petits groupes, souvent individuellement. Dans le numéro 1 d'Asma, on apprend que cet exil s'est précipité en 1993, 1994 concernant une partie importante des cadres et intellectuels : 1984, 2 500 départs à l'étranger, en 1993 ce chiffre se monte à 17 900 et atteint en 1994 27 600.

Les professions les plus touchées, furent celles qui ont eu à subir la vindicte des islamistes, soit par leur engagement au service de la démocratie, soit par le symbole qu'elles représentaient. Il en est ainsi des enseignants et universitaires en bute à la volonté des intégristes de plonger dans l'obscurité la flamme du savoir. Le FIS avait érigé comme principe, l'intolérance à la diversité culturelle et au respect de la multiplicité du savoir. Il refusait l'accès pour tous à l'universalité du savoir. Ainsi de nombreuses écoles furent brûlées, de très nombreux enseignants furent persécutés et certains ont dû fuir devant les menaces de mort des intégristes. Les journalistes durent subir les persécutions et les anathèmes du FIS. Les journalistes apparaissent aux yeux des islamistes comme des producteurs d'idées ayant le pouvoir d'informer, de dénoncer, d'apporter des points de vue contradictoires développant la pluralité dans le pays. A l'image de Tahar Djaout plus de quatre-vingts journalistes furent assassinés depuis 1993. Les professions de santé ont eu à endurer les foudres des islamistes (les assassinats des professeurs Boucebci et Belkenchir en témoignent) et à lutter contre les vues rétrogrades des fous de Dieu sur les sciences, la conception et l'approche du corps humain. De nombreux pharmaciens, médecins, infirmiers et sages-femmes ont du quitter le pays devant ce déchaînement sanglant . Mais la répression ne s'est pas résumée à ce bilan sanglant, elle a touché de nombreux autres acteurs de la vie sociale notamment les artistes, les cadres, les ingénieurs ou certains commerçants.

Cette population difficilement quantifiable, qui pourrait ouvrir des champs d'études, a cependant un idéal en commun de démocratie et de rejet d'une société ordonnée par les préceptes intégristes.

 

a) des horizons diversifiés issus du mouvement démocratique algérien

La démocratie - mot chargé de symboles, recouvrant de nombreuses interprétations - peut se définir comme l'indique Gérard David dans son livre " La démocratie mémoire et perspectives d'un projet politique " comme un " projet humain, social et politique, né du désir individuel et collectif de liberté, et incarné dans la revendication d'un auto gouvernement de la communauté politique31 ". La démocratie est une invention de la culture occidentale, née il y a plus de 2000 ans, dans un tout petit pays méditerranéen, en Grèce et plus précisément à Athènes. Cette forme de gouvernement n'est pas innée, ni d'un point de vue pratique, ni d'un point de vue théorique. Cette organisation politique porte sur le " sens, le bien fondé et la possibilité du choix d'un certain type d'existence collective, et sur les conditions de mise en œuvre de ce choix particulier32 ". Cette pratique, puisant ses sources dans un lointain passé, est en perpétuel questionnement et nécessite une adaptation à la société dans laquelle elle souhaite être mise en place.

Le paysage politique algérien est composé de trois tendances distinctes que l'on peut définir lisiblement. A l'extrême, on trouve les différents groupes et partis se réclamant de la mouvance islamiste qui souhaitent établir une république islamique en Algérie. Le courant nationaliste est composé d'une partie de l'armée et est issu du parti unique le FLN. Et l'on retrouve dans un troisième temps, le mouvement démocratique. Contrairement aux deux autres, ce dernier apparaît beaucoup plus désuni. Le courant démocrate en Algérie peut se diviser en trois tendances cependant traversées par la question centrale de la place des islamistes dans le jeu politique.

Durant les 26 ans du parti unique, l'opposition a été interdite. Le courant de gauche, et en parallèle les communistes, s'est incarné dans un parti : le PAGS (Parti de l'Avant Grade Socialiste) créé en 1965 après l'interdiction du PCA (Parti Communiste Algérien) qui regroupait des militants d'extrême gauche et des communistes, et qui a vécu dans la clandestinité jusqu'en 1988. Ce parti qui a compté jusqu'à 15 000 militants33 a éclaté en 1991 en plusieurs fractions. De très nombreux adhérents abandonnèrent la politique pour expérimenter de nouvelles formes d'engagements. Cependant, certains ont créé le PADS (Parti Algérien pour la Démocratie et le Socialisme) qui regroupe les communistes orthodoxes. La seconde fraction, représentant les sociaux-démocrates de l'ex-PAGS, a constitué un parti qui s 'appelle Ettahadi ; ce qui signifie en arabe " le défi ". Dirigé par Hachemi Cherfi, il représente une des tendances du mouvement démocratique.

 

Il y a ensuite un courant berbériste qui est plutôt de tendance social-démocrate, porté par la mouvance RCD (Rassemblement pour la Culture et la Démocratie) du docteur Saïd Saadi et le FFS (Front des Forces Socialistes). Ils proposent un projet politico-ethnique représenté par la cause amazigh. La troisième tendance s'articule autour des démocrates libéraux. Constituée par des hommes et des femmes d'un milieu social aisé et souvent privilégié, elle n'a pas de militants de base et n'a pas souvent sollicité l'aide des associations de solidarités avec l'Algérie. On note aussi la présence sur l'échiquier politique algérien du parti de Rédha Malek, de tendance républicaine démocratique qui fut opposé farouchement aux accords de Rome. Le MPR (Mouvement Pour la République) est quant à lui constitué de nombreuses personnalités et travaille au côté du RCD.

Cette grille de lecture (établie avec l'aide bienveillante de Mohamed Bahrour ) doit être remise en cause, car toutes ces tendances sont traversées par une ligne de fracture importante qui est le nœud gordien des ces différentes appréciations : la place des islamistes dans la société algérienne.

Faut-il accepter les islamistes ou bien faut-il les refuser ?

Faut-il les intégrer dans le jeu politique algérien ou faut-il les rejeter ?

Est-ce que les islamistes sont solubles dans la démocratie ou non ?

Telles sont les questions qui divisent les démocrates depuis l'interruption du processus électoral en 1992. Ces divergences se sont exprimées profondément lors de la signature des accords de Rome en 1995. Le FFS et le Parti des travailleurs de Louisa Hanoune (d'obédience trotskiste) ont établi une plate-forme de gouvernement avec les FIS. Opposées à l'interruption du processus électoral, ces franges des démocrates pensent pourvoir amener la démocratie en Algérie en intégrant le FIS dans le jeu politique en tant que représentant d'un courant de la société algérienne. Le RCD et les différentes fractions de l'ex-PAGS se sont catégoriquement opposés à ces accords, dénonçant une dérive grave. Cette appréciation et cette vision de la démocratie avaient engendré la même division lors du choix par l'armée d'annuler le second tour des élections législatives. Mohamed Bahrour explique cette confusion

" Moi j'étais parmi ceux qui ont dit qu'il fallait arrêter, qu'il ne fallait pas donner le pouvoir aux islamistes. Mais je n'ai jamais dit que j'avais raison. C'était ma première réaction de militant, de démocrate. Il y avait de la raison, mais il y avait de la déraison, il y avait de la folie, il y avait de la peur, il y avait tout dans mon attitude, mais je ne peux pas dire que j'avais tort ou que j'avais raison. Les gens qui disent par exemple, le FFS et le PS en France, qu'il fallait donner le pouvoir aux islamistes ne savaient pas ce qu'allaient faire les islamistes de ce pouvoir. On n'écrit pas l'histoire à l'avance. Ça allait être sanglant parce que les listes étaient affichées par tout, les potences étaient prêtes, les tribunaux populaires étaient prêts à juger les gens, les femmes, à couper les mains, à tuer… Le programme du FIS, leur programme officiel, ses déclarations écrites, ses déclarations verbales, les déclarations de ses chefs disent nous sommes contre la démocratie, la démocratie est une hérésie, nous sommes contre le droit des femmes etc... et tu trouves des démocrates qui te disent non, il faut les accepter. On leur dit mais ces gens là te disent que la démocratie est une hérésie et qu'on la liquidera dès qu'on accèdera au pouvoir et ces gens là te disent non! non! non! il faut quand même leur donner leur chance… Les islamistes tuent des gens, Issam ils font des déclarations en disant nous avons tué tel journaliste, on a tué telle femme, on a fait tel massacre avec des déclarations officielles et tu trouves des démocrates qui te disent non! non! non! ce ne sont pas eux qui ont tué, alors que c'est le FIS qui le déclare c'est incroyable34 ". Ce témoignage démontre bien l'opposition qui s'est établie à l'intérieur du courant démocratique algérien. Afin de mieux appréhender cette diversité au sein de cette mouvance nous avons réalisé un tableau à double entrée présentant les principales lignes de fractures entre ces partis politiques.

Tendance issue de l'ex-PAGS et mouvement trotskiste

Tendance politico-ethnique

Tendance libérale et républicaine

 

Partis opposés aux accords de Rome

Ettahadi

PADS

RCD

MPR

ANR

Partis signataires des accords de Rome

PT

FFS

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 Cependant le mouvement démocratique algérien ne se limite pas à ces différents partis politiques mais englobe d'innombrables associations qui travaillent souvent avec des moyens dérisoires. Elles représentent une force importante dans la population algérienne et ont investi de nombreux champs de la société, tel le combat des femmes pour l'abrogation du code de la famille ou bien encore le domaine de l'écologie. Ayda a travaillé avec certaines d'entre-elles et les a soutenu dans leurs actions. Cependant il serait trop long ici, de les énumérer et d'établir une grille de lecture de leurs orientations.

 

b) les réfugiés aidés par Ayda

L'association Ayda a, au cours de ces 5 dernières années, aidé de nombreux réfugiés, mais il est difficile de quantifier ces actions de part l'absence réelle dans les archives de cahiers et de tenue d'intervention. Cependant, il est possible d'établir une vue d'ensemble et de se pencher sur certains réfugiés qui ont marqué l'association. Depuis la création dans l'urgence en 1994, Ayda a accueilli plus de cinquante réfugiés et pour certains leurs familles. Ces arrivées se sont échelonnées au gré des circonstances et des évolutions de la crise algérienne. Au plus fort des violences, c'est à dire de 1994 à 1998, Ayda a du faire face à de nombreuses venues souvent précipitées. Ces réfugiés ont pour certains, quitté le pays dans l'urgence afin d'échapper à la mort ; d'autres ont été pris en charge par Ayda, après des menaces renouvelées ; d'autres encore ont fui une situation éprouvante. Ces émigrés ont tout perdu pour pouvoir survivre et ont laissé en Algérie une situation souvent confortable et reconnue. Beaucoup d'entres eux occupaient une place élevée dans la société. En observant dans un document édité par Ayda la nature des aides entreprises auprès de ces hommes et de ces femmes, on remarque la diversité des professions des exilés. Cependant Ayda a surtout dirigé ses efforts vers les hommes exilés car les femmes seules étaient le plus souvent prises en charge par le Réseau de Solidarité avec les Femmes Algériennes. Cela s'explique par l'itinéraire et les convictions du tout premier noyau d'Ayda qui venait du mouvement féministe. En effet, elles ont été à l'initiative de la création d'un réseau international de solidarité avec les femmes algériennes à Toulouse qui a ainsi de fait entraîné une séparation dans la prise en charge des exilés. Cependant cette distinction (peu compréhensible pour certains) n'a pas été fortement respectée et Ayda a développé ses services à l'ensemble de la population exilé.

Les professions que l'on relève font parties des groupes sociaux assez élevés et qui ont été visées par les anathèmes lancés par le FIS. Il en est ainsi des journalistes, des instituteurs, des professeurs, des artistes et des professions de santé. Plusieurs réfugiés au sein d'Ayda furent proches ou bien militants de l'ex-PAGS dans les années de clandestinité. Mais Ayda n'a pas été le relais en France de ces militants là. Elle a accueilli de nombreux réfugiés de divers horizons politiques. Certains étaient militants de la cause berbère, d'autres se sont engagés pour la libéralisation du statut de la femme, d'autres encore ont milité contre le FIS afin de faire barrage à la création d'un syndicat islamiste dans l'éducation nationale. Les origines géographiques de ces réfugiés sont assez diverses bien que plus centrées dans l'ouest et la capitale. La carte ci dessous permet de mettre en évidence ces foyers de départ. En utilisant un échantillon représentatif des réfugiés aidés par Ayda, on s'aperçoit que les professions de journaliste et enseignant sont très représentées. On note aussi la présence de professeurs de médecine.

Afin de mieux cerner la personnalité de ces exilés, les circonstances de leurs venues, il nous est apparu intéressant de se pencher sur le sort de quelques-uns d'entre eux. Chaque parcours, chaque destinée est individuelle et propre à chaque exilé, il est difficile de dégager des idées directrices ; c'est pour cela que nous avons choisi d'établir une esquisse de portrait de ces quelques exilés choisis parmi tant d'autres au sein d'Ayda.

Le premier est celui du journaliste Mohamed Bahrour arrivé à Toulouse au cours de l'été 1994. Journaliste du quotidien national Alger Républicain, il fut victime d'un attentat perpétré par un groupe islamiste armé le 1er mars 1994 en sortant de chez ses beaux-parents. Il reçut plusieurs balles, dont une dans l'épaule et une autre dans la cuisse, le laissant pour mort sur le bitume. Après avoir été, non sans mal, transféré dans un hôpital public, il dut subir une nouvelle fois, les attaques des islamistes qui sont venus dans sa chambre d'hôpital pour l'achever. Grâce au soutien du directeur du quotidien Alger Républicain, il fut transféré à l'hôpital militaire d'Alger y subissant cinq opérations chirurgicales. Afin de protéger sa famille, et d'échapper à la vengeance des islamistes, il dut se cacher chez des amis et changer de domicile très fréquemment, parcourant ainsi plusieurs villes dont Alger, Blida, Mostaghanem et Oran. C'est dans cette dernière qu'il eut connaissance de l'existence de l'association Ayda, par le biais d'un professeur de médecine. (L'université de médecine de Toulouse est jumelée depuis longtemps avec l'université d'Oran ce qui entraîne la multiplication des liens entre Oran et Toulouse). Grièvement blessé et non complètement soigné, il a pu être transféré grâce à la mobilisation d'Ayda et à la collaboration de ses amis du mouvement Ettahadi. Il a subi à Toulouse, l'installation d'une prothèse de la hanche prise en charge techniquement par l'hôpital Joseph Ducuing et financièrement par Ayda. Il a pu faire venir sa famille en plusieurs étapes. Afin de régulariser sa situation, il a choisi de s'inscrire à l'université Toulouse - le - Mirail en maîtrise d'histoire en 1995. Il a effectué un DEA (Diplôme d'Etudes Approfondies). Actuellement, il réalise sa thèse sur l'opinion publique française et le mouvement de solidarité en faveur de l'Algérie démocratique de 1991 à 1995. Ce journaliste était en Algérie un militant du PAGS (Parti de l'Avant Garde Socialiste) jusqu'en 1991, date de son éclatement. Il n'a rejoint aucune " fraction " éclatée de ce parti d'opposition. Il s'est investi dans le mouvement associatif de Tiaret en participant à la mise en place et à l'animation d'un ciné-club et en contribuant à la création d'une équipe de football féminine dans sa ville. S'investissant dans la cause démocratique, il fut avec sa femme, l'un des membres fondateurs de la section de la Ligue algérienne des droits de l'homme à Tiaret. Cet engagement fort, au profit de la démocratie lui avait valu de recevoir dès 1990 des lettres de menaces de la part d'un groupe islamiste " Le sabre de l'Islam " et d'être condamné publiquement à mort dans certaines mosquées. Ce journaliste avait subit dès 1991 des violences de la part du FIS, étant agressé au couteau et au bâton en juin 1991 lors de la grève insurrectionnelle déclenchée par ce mouvement politico-religieux algérien. Il s'est depuis énormément investi dans l'association Ayda, participant à son développement et faisant bénéficier de son expérience et de ses contacts en Algérie, l'association, afin de renforcer les liens qui unissent ces deux pays.

Le cas d'un instituteur35 de Sidi Bél Abes est représentatif de l'acharnement du FIS contre la profession enseignante. Cet instituteur est arrivé à Toulouse en catastrophe, car il a été persécuté par les islamistes et a échappé à la mort de justesse. Instituteur dans un village prés de Sidi Bél Abes, il s'était investi dans la lutte contre l'implantation d'un syndicat islamiste dans l'éducation nationale algérienne. En effet, le FIS dans sa stratégie de " noyautage " de la société algérienne avait mis en place un " syndicat " à sa solde, afin d'étendre son influence et son besoin de contrôle. Mais devant la mobilisation de la profession enseignante, le projet a échoué. Cependant cela n'a pas arrêté les persécutions et les attentats à leur égard. Cet enseignant d'une école primaire n'a du son salut qu'à sa rapidité à fuir. Un groupe armé islamiste a envahi son appartement avec des haches et il a du s'échapper par les toits pour éviter la mort que lui promettaient ses agresseurs. Ayant changé d'école, il fut retrouvé par les " fous de Dieu " et dut cette fois emprunter les routes de l'exil en France, à Toulouse grâce à l'aide d'Ayda. Il a pu faire venir sa femme et ses quatre enfants après avoir régularisé sa situation. Il s'est inscrit à l'université Toulouse - le - Mirail en licence de lettres moderne, lui permettant ainsi d'obtenir un statut juridique beaucoup moins aléatoire. Il s'est investi dans l'association Ayda notamment au sein de ses organes militants, puis s'en est peu à peu détaché. On pourrait multiplier les exemples de ces instituteurs et enseignants ayant subi les exactions des islamistes et soutenu et recueilli par Ayda.

Ainsi ce professeur d'histoire (ancien militant du PAGS) qui a reçu des menaces de mort par écrit et dont l'école a été incendiée, s'est vu refuser le statut de réfugié politique par l'OFPRA et a du entreprendre des études à l'université Toulouse - le - Mirail afin d'obtenir un statut juridique lui permettant de rester en France. Lui aussi s'est investi dans le mouvement de solidarité en participant par exemple à l'université d'été de Montpellier en juillet 1994 à l'initiative d'intellectuels exilés algériens et du CISIA. Le cas des professions de santé est aussi très présent au sein d'Ayda. Ce professeur de médecine, spécialiste des maladies osseuses, a été menacé de mort par les islamistes. Il a été victime d'un attentat à l'arme à feu et a du subir une opération chirurgicale lourde à Paris. Solidement reconnu dans son milieu, il a du s'inscrire à la faculté de médecine en tant qu'étudiant alors qu'il avait un niveau très nettement supérieur à cet enseignement. Il n'a pas pu trouver de poste dans un hôpital ou une clinique afin d'obtenir un niveau de vie décent lui permettant de vivre dans la dignité.

Les difficultés innombrables qu'ont rencontrées ces hommes et ces femmes dans leur exil forcé en France ont ainsi terni l'image de la France patrie des Droits de l'Homme, de la tolérance et du respect de la dignité humaine. Cependant le mouvement de solidarité autour d'Ayda a mobilisé de grandes énergies au service de ces Algérien(ne)s, d'horizons différents mais rapproché(e)s par un idéal commun : l'instauration de la démocratie dans leur pays.